Episode 1 : Le début C'était fini. Plus de coeur battant sous le quartz, plus de sève sous la cuirasse, plus de battement dans le ciel de ses cils. Le désert d'une terre d'albâtre, cette page blanche n'accueillant que le lit d'une rivière asséchée. Effroyable. Toute cette absence, toute cette froideur, tout ce vide, accumulation de solitude infinie. Alors qu'à la source tarie, obstinément, obstinément oui, mes pas me ramenaient ; que l'écho des sanglots hurlant que c'était fini, fini, tout était fini. Comment poursuivre le chemin, comment laisser derrière soi ce qui nous a porté, ce qui nous a animé, ce qui a fait battre le coeur plus fort que les darboukas de Damavand? Une vie de schizophrène s'amorçait, s'installait, s'enracinait alors. Tourmentée entre l'exquise mélodie de la nostalgie et l'ignoble cacophonie de la réalité. Qu'est-ce qui pouvait bien faire tenir? L'espoir. L'espoir se tapissait, là, sans demander de visa, l'espoir était là s'agrippant à chaque expire, à chacune des pensées, à chaque mouvement, omniprésent partout, tout le temps. Un espoir oppressant jusqu'à l'hallali, jusqu'à l'étouffement, un espoir qu'elle voudrait décapiter, occire pour en finir de cette attente infinie, là au pied de ce lit. Ce lit qui ne s'émerveillera plus, celui qui a été et ne sera plus. Ce lit vers lequel ses pas la menaient malgré la volonté de s'en sortir de ce manège débilitant. Le besoin de liberté ne viendrait-il pas à son secours dans ces moments-là? Une pulsion de survie qui achèverait alors cette dernière lampée d'obstination, pour ne plus y revenir à la fontaine qui a déjà tout donné, qui ne donnera plus? Alors le temps, oui, c'est lui. Celui qui polie les saillies, les aspérités et les angles, qui salit les mémoires. Ce sale temps qui appauvrit l'ardeur, lisse les escarpements, aplanit les pitons en niaises collines. Ce temps qui nous érode et qui nous prend un à un nos élans, les mastique et les digère pour n'en faire que des souvenirs d'une illimité médiocrité. des souvenirs qui trouvent leur place entre les enfances et les autres ratés. Alors voilà, elle s'était résignée, merci le temps, merci sur ce coup-là, de l'avoir libérée de cet autel voué à la mémoire passée. Une nouvelle vie aurait pu commencer sans les regrets de ces funérailles cruelles. Qu'il s'agisse d'une personne qu'on aime, d'un amour fou, d'une amitié sincère, de la poésie, d'une chanson, ce qui meurtrit, c'est lorsque tout est fini. Irrémédiablement achevé. Un jour, ses yeux voltigèrent sur ces quelques lignes (M. Malzieu) : "Deux petits oeufs de dinosaure en chocolat blanc dans un soutien gorge en coton submersible. En ce vendredi sein, ils étaient exposés dans un décolleté aux allures de musée. Le plus amusant des musées qui soit, celui où se trouve la muse vivante en chocolat. Deux petits oeufs de dinosaure en chocolat blanc." Sourit, lu et relu ces quelques lignes avec un enchantement d'enfant gourmand. Cette délicate embuscade frivole posée là sur un bout de toile, lui aboyait l'évidence! Les mots avaient beau être déjà tous écrits, tout restait encore à faire. Alors elle franchit le seuil de sa porte. Et, elle courut, elle courut et elle courut encore ...
alizee-deziles Il y a 9 ans

Episode 1 : Le début


C'était fini.

Plus de coeur battant sous le quartz, plus de sève sous la cuirasse, plus de battement dans le ciel de ses cils.
Le désert d'une terre d'albâtre, cette page blanche n'accueillant que le lit d'une rivière asséchée. Effroyable. Toute cette absence, toute cette froideur, tout ce vide, accumulation de solitude infinie.
Alors qu'à la source tarie, obstinément, obstinément oui, mes pas me ramenaient ; que l'écho des sanglots hurlant que c'était fini, fini, tout était fini. Comment poursuivre le chemin, comment laisser derrière soi ce qui nous a porté, ce qui nous a animé, ce qui a fait battre le coeur plus fort que les darboukas de Damavand? Une vie de schizophrène s'amorçait, s'installait, s'enracinait alors. Tourmentée entre l'exquise mélodie de la nostalgie et l'ignoble cacophonie de la réalité.
Qu'est-ce qui pouvait bien faire tenir?

L'espoir.
L'espoir se tapissait, là, sans demander de visa, l'espoir était là s'agrippant à chaque expire, à chacune des pensées, à chaque mouvement, omniprésent partout, tout le temps. Un espoir oppressant jusqu'à l'hallali, jusqu'à l'étouffement, un espoir qu'elle voudrait décapiter, occire pour en finir de cette attente infinie, là au pied de ce lit. Ce lit qui ne s'émerveillera plus, celui qui a été et ne sera plus. Ce lit vers lequel ses pas la menaient malgré la volonté de s'en sortir de ce manège débilitant. Le besoin de liberté ne viendrait-il pas à son secours dans ces moments-là? Une pulsion de survie qui achèverait alors cette dernière lampée d'obstination, pour ne plus y revenir à la fontaine qui a déjà tout donné, qui ne donnera plus?

Alors le temps, oui, c'est lui. Celui qui polie les saillies, les aspérités et les angles, qui salit les mémoires. Ce sale temps qui appauvrit l'ardeur, lisse les escarpements, aplanit les pitons en niaises collines. Ce temps qui nous érode et qui nous prend un à un nos élans, les mastique et les digère pour n'en faire que des souvenirs d'une illimité médiocrité. des souvenirs qui trouvent leur place entre les enfances et les autres ratés.
Alors voilà, elle s'était résignée, merci le temps, merci sur ce coup-là, de l'avoir libérée de cet autel voué à la mémoire passée. Une nouvelle vie aurait pu commencer sans les regrets de ces funérailles cruelles. Qu'il s'agisse d'une personne qu'on aime, d'un amour fou, d'une amitié sincère, de la poésie, d'une chanson, ce qui meurtrit, c'est lorsque tout est fini. Irrémédiablement achevé.

Un jour, ses yeux voltigèrent sur ces quelques lignes (M. Malzieu) :
"Deux petits oeufs de dinosaure en chocolat blanc dans un soutien gorge en coton submersible. En ce vendredi sein, ils étaient exposés dans un décolleté aux allures de musée. Le plus amusant des musées qui soit, celui où se trouve la muse vivante en chocolat. Deux petits oeufs de dinosaure en chocolat blanc." Sourit, lu et relu ces quelques lignes avec un enchantement d'enfant gourmand.
Cette délicate embuscade frivole posée là sur un bout de toile, lui aboyait l'évidence! Les mots avaient beau être déjà tous écrits, tout restait encore à faire.

Alors elle franchit le seuil de sa porte. Et, elle courut, elle courut et elle courut encore ...

Episode 2 : la trace Un pas devant l'autre, un pas après l' autre. Défiler les sentiers dans la garrigue, s'accrocher à la poussière, s'emplir les poumons du parfum des pins, s'inonder de ces rocailles, rebondir en descente, s'agripper à la sente, éviter les corolles roses des cistes, slalomer entre les asphodèles, enjamber les romarins, avancer, opiniâtrement. A savoir comment tout cela avait bien pu commencer, l'addictive fuite, elle ne s'en souvenait plus? Courir à en perdre le nord, courir à perte de vue, dans des paysages toujours plus grands, sur des distances toujours plus longues, jusqu'à perdre la notion du temps, jusqu'à oublier ce corps qui nous donne des ailes. Dis, c'était comment avant? Elle a oublié. Dans ce nouveau monde, elle n'entendait plus que le rire de la trace, qui la titillait, l'invitait. Un appel. Une sommation? Elle ne pouvait pas lui dire non. C'était un dimanche pascal, les petits oeufs en chocolat blanc, elle se souvient. La veille, l'ivresse des Corbières avait déposé une caresse au bas de ses reins. Il avait dénoué cette longue tresse qui s'enroulait tout autour de sa robe à volants. Ils ont ri, il a chanté. "Tu es folle", c'était plus fort que lui, cela lui a échappé lorsqu'elle a parlé de son envie. Puis les ballons ont cliqueté, à flot le vin encore, ses jambes si fidèles commençaient à l'abandonner. Elle a jeté l'éponge avant que de flancher toute entière. Il était 2h30 du dernier quartier de lune, quand elle s'est enfin laisser-aller. Elle ne sait plus par quel tour de passe-passe elle s'était retrouvée neuf heures plus tard, au milieu des endimanchés de Fontfroide, déguenillée avec son sac de deux litres d'eau et ses trois bouts de pain durs qu'elle n'avait même pas eu le courage de tartiner de quoi que ce soit. Sur sa gauche, à la table de l'abbaye, s'engouffraient ces familles entières destinées à manger du veau sur son lit de légumes rares, alors qu'elle entamait sans grand appétit une large piste sillonnant la pinède qui l'inondait tout autour. Etait-ce la tête cloutée de sulfites qui plombait ses jambes, ou alors le manque de sommeil? Son âge, peut-être? Là, c'était la lourde peine, irréparable! Trop de brouillard pour se plaindre de quoi que ce soit, elle dormait peut-être bien encore lorsqu'une chevrette déguerpit devant elle. La freluquette l'attendait dans le virage un peu plus haut, elle sourit et ses jambes se réconcilièrent avec ce qui allait venir. Carte à la main, c'était sa première aventure, son premier essai, carte à la main des horizons à l'infini. Première ascension, maudissant ce vin d'hier, seul le souvenir de ses mots dans sa nuque lui servait de cataplasme. Elle l'imaginait à ses côtés, leurs souffles croisés, le crissement de ses pas sur les mêmes aiguilles que les siennes, le scintillement de son regard sur ces Corbières couvertes de leurs plus beaux genêts. Elle avançait vite, sans plus y penser, ni hier, ni ce vin, l'étang de Bages s'étalait devant elle. Dans le ciel, la triste mine des week-ends d'avril tranchait avec ces eaux turquoises étales. La piste se séparait en deux, elle choisit celle qui la faisait cheminer le plus longtemps sur la crête pour profiter du chant des mouettes, planant au-dessus des terres, portées par les vents marins. La descente contournait une antenne, Narbonne à ses pieds, la piste était devenue chemin, le chemin un sentier, le sentier une trace qui rejoignait les vignes, sur les coteaux exposés au sud. Bientôt deux heures qu'elle avançait, un bout de pain, et elle s'attaquait à la minuscule travée, entre deux pistes de terre rouge embarrassées de pin d'Alep et de chênes verts. Plus de passé, plus d'avenir, que cette trace, une carte chiffonnée dans la main, le temps suspendu aux foulées métronomes de l'exploratrice modeste, quantité négligeable d'aventure dans ce monde d'extrêmes. Elle était heureuse, là, inscrite dans le temps présent, inexistante aux yeux du monde, seule sur sa trace. Trois heures de course, plus de vingt kilomètres d'après la carte et la satiété de la trace qui ne se manifestait toujours pas, ne reprochant aucun blâme à son corps banal d'aventurière à la petite semaine. Et puis l'orage grondant de plus en plus fort, la carte imprécise, ces reliefs qui se ressemblaient, une piste qui n'arrivait jamais, elle cherchait une voie, plus de pain, il a fallu se résoudre à rebrousser chemin, revenir à un paysage connu, un arbre, un amoncellement, une ouverture, un signe qui ne tromperait pas. Quatre heures maintenant, des gouttes rebondissant sur sa gourde vide, les pieds inaudibles sur la caillasse, ça se défilait parfois, mais qu'est-ce que ça déroulait. L'ivresse! Bombardée d'endorphine, d'adrénaline, un shoot en plein désert vert. La facilité de la foulée la frappait et l'enivrait plus encore, impressionnée de ce que le corps pouvait accomplir sans être super héros. Il a fallu un appel pour la ramener au rivage du réel, arrêter là l'expérience de l'aventure sans passion et sans but. Elle savait déjà qu'elle venait d'ouvrir une nouvelle dimension à son être, la boite de Pandore qui se cachait là, partout, tout autour d'elle. Il lui en faudrait plus, toujours plus pour satisfaire l'appel, l'appel de la trace. Une mise en bouche, qui lui ouvrait un appétit. Féroce.
alizee-deziles Il y a 9 ans

Episode 2 : la trace

Un pas devant l'autre, un pas après l' autre.
Défiler les sentiers dans la garrigue, s'accrocher à la poussière, s'emplir les poumons du parfum des pins, s'inonder de ces rocailles, rebondir en descente, s'agripper à la sente, éviter les corolles roses des cistes, slalomer entre les asphodèles, enjamber les romarins, avancer, opiniâtrement. A savoir comment tout cela avait bien pu commencer, l'addictive fuite, elle ne s'en souvenait plus?
Courir à en perdre le nord, courir à perte de vue, dans des paysages toujours plus grands, sur des distances toujours plus longues, jusqu'à perdre la notion du temps, jusqu'à oublier ce corps qui nous donne des ailes. Dis, c'était comment avant?

Elle a oublié.
Dans ce nouveau monde, elle n'entendait plus que le rire de la trace, qui la titillait, l'invitait. Un appel. Une sommation? Elle ne pouvait pas lui dire non.

C'était un dimanche pascal, les petits oeufs en chocolat blanc, elle se souvient. La veille, l'ivresse des Corbières avait déposé une caresse au bas de ses reins. Il avait dénoué cette longue tresse qui s'enroulait tout autour de sa robe à volants. Ils ont ri, il a chanté. "Tu es folle", c'était plus fort que lui, cela lui a échappé lorsqu'elle a parlé de son envie. Puis les ballons ont cliqueté, à flot le vin encore, ses jambes si fidèles commençaient à l'abandonner. Elle a jeté l'éponge avant que de flancher toute entière. Il était 2h30 du dernier quartier de lune, quand elle s'est enfin laisser-aller.
Elle ne sait plus par quel tour de passe-passe elle s'était retrouvée neuf heures plus tard, au milieu des endimanchés de Fontfroide, déguenillée avec son sac de deux litres d'eau et ses trois bouts de pain durs qu'elle n'avait même pas eu le courage de tartiner de quoi que ce soit. Sur sa gauche, à la table de l'abbaye, s'engouffraient ces familles entières destinées à manger du veau sur son lit de légumes rares, alors qu'elle entamait sans grand appétit une large piste sillonnant la pinède qui l'inondait tout autour.

Etait-ce la tête cloutée de sulfites qui plombait ses jambes, ou alors le manque de sommeil? Son âge, peut-être? Là, c'était la lourde peine, irréparable!

Trop de brouillard pour se plaindre de quoi que ce soit, elle dormait peut-être bien encore lorsqu'une chevrette déguerpit devant elle. La freluquette l'attendait dans le virage un peu plus haut, elle sourit et ses jambes se réconcilièrent avec ce qui allait venir.
Carte à la main, c'était sa première aventure, son premier essai, carte à la main des horizons à l'infini.
Première ascension, maudissant ce vin d'hier, seul le souvenir de ses mots dans sa nuque lui servait de cataplasme. Elle l'imaginait à ses côtés, leurs souffles croisés, le crissement de ses pas sur les mêmes aiguilles que les siennes, le scintillement de son regard sur ces Corbières couvertes de leurs plus beaux genêts. Elle avançait vite, sans plus y penser, ni hier, ni ce vin, l'étang de Bages s'étalait devant elle.
Dans le ciel, la triste mine des week-ends d'avril tranchait avec ces eaux turquoises étales. La piste se séparait en deux, elle choisit celle qui la faisait cheminer le plus longtemps sur la crête pour profiter du chant des mouettes, planant au-dessus des terres, portées par les vents marins. La descente contournait une antenne, Narbonne à ses pieds, la piste était devenue chemin, le chemin un sentier, le sentier une trace qui rejoignait les vignes, sur les coteaux exposés au sud. Bientôt deux heures qu'elle avançait, un bout de pain, et elle s'attaquait à la minuscule travée, entre deux pistes de terre rouge embarrassées de pin d'Alep et de chênes verts.
Plus de passé, plus d'avenir, que cette trace, une carte chiffonnée dans la main, le temps suspendu aux foulées métronomes de l'exploratrice modeste, quantité négligeable d'aventure dans ce monde d'extrêmes.
Elle était heureuse, là, inscrite dans le temps présent, inexistante aux yeux du monde, seule sur sa trace. Trois heures de course, plus de vingt kilomètres d'après la carte et la satiété de la trace qui ne se manifestait toujours pas, ne reprochant aucun blâme à son corps banal d'aventurière à la petite semaine.
Et puis l'orage grondant de plus en plus fort, la carte imprécise, ces reliefs qui se ressemblaient, une piste qui n'arrivait jamais, elle cherchait une voie, plus de pain, il a fallu se résoudre à rebrousser chemin, revenir à un paysage connu, un arbre, un amoncellement, une ouverture, un signe qui ne tromperait pas.
Quatre heures maintenant, des gouttes rebondissant sur sa gourde vide, les pieds inaudibles sur la caillasse, ça se défilait parfois, mais qu'est-ce que ça déroulait. L'ivresse! Bombardée d'endorphine, d'adrénaline, un shoot en plein désert vert. La facilité de la foulée la frappait et l'enivrait plus encore, impressionnée de ce que le corps pouvait accomplir sans être super héros. Il a fallu un appel pour la ramener au rivage du réel, arrêter là l'expérience de l'aventure sans passion et sans but. Elle savait déjà qu'elle venait d'ouvrir une nouvelle dimension à son être, la boite de Pandore qui se cachait là, partout, tout autour d'elle.

Il lui en faudrait plus, toujours plus pour satisfaire l'appel, l'appel de la trace. Une mise en bouche, qui lui ouvrait un appétit. Féroce.

Six heures trente, à peine. Immobile, la ville dort emmaillotée dans ses traînées de nébulosité. Et moi je me traîne dans les ruelles pavées. Le bourdonnement urbain, à peine perceptible depuis le coeur de la cité historique, glisse sur les ruelles pavées et m'offre un premier répit. Je suis là pour ça, me mettre en retrait de la routine. J'ai envie que pour un moment, même qu'un petit instant, rien ne s'impose à moi. Pas même les klaxons, pétarades et crissements d'engins qui ponctuent habituellement mes petits matins. Je remercie ces côtes que j'ai tant sué à gravir la veille pour dormir au pied du rocher Corneille, sous la protection de la géante vierge. Pour moi, le voyage commence là, hors du monde. Loin du centre ville du Puy-En-Velay, c'est déjà un début! Rue des Tables, les rideaux de fer, encore baissés des échoppes à souvenir, frissonnent à peine à mon passage. Les moineaux eux-mêmes peinent à s'activer. Seul, un bruissement s'élève, tout en haut du colossal escalier en pierre taillée. Sacré escalier! Combien de marches? Inutiles de compter, je suis venue pour ça, alors j'escalade, sans trop réfléchir, ce dont mon cerveau embrumé me remercie. Là-haut, dans l'écho des civilités étouffées sous la nef centrale de la cathédrale, l'agencement des pèlerins s'organise, à grands coups de godillots dans les bancs en bois. Immuable, l'orgue résonne tandis que l'on se défait, au pied des prie-dieu : de son sac, ses bâtons, son chapeau, sa gourde, tout cela en un amoncellement périlleux, mais qui se veut méthodique. L'abbé répète avec bienveillance, comme tous les matins, comme tous ses confrères avant lui et ceux qui le feront après, ses larges gestes tantôt à droite, tantôt à gauche. Ses gesticulations encouragent les indécis, bousculant les plus timides, à prendre place pour débuter la cérémonie. Depuis son autel la vierge noire trône, la tête de son marmot dépassant à peine de son épaisse cape brodée et passementée d'or. Ni croyante, ni pèlerine, pourtant je m'exécute sous leurs regards vides. Inébranlables, les icônes nous toisent du haut de leurs siècles d'immobilité. Comme elles ont fixé des générations et des générations de voyageurs et comme elles le feront après mon insignifiant passage. Trois marcheurs technologiquement vêtus s'avancent vers l'autel, se retournent et entonnent un chant qui fait taire l'assemblée. C'est émouvant cette solennité. Le prêtre nous parle du voyage à venir : "C'est le bâton qui fait le pèlerin". Pour la première fois, j'écoute. Et avec la plus grande attention, mon esprit envisage enfin ce que ce périple pourra m'apporter, ce qu'il pourra signifier. Par ma simple présence en ce lieu chargé d'histoires, j'ai l'impression d'appartenir à un ensemble bien plus grand que ma petite vie et ses dommages collatéraux. Je n'ai pas encore marché que déjà je trouve en ce voyage un réconfort inattendu.
alizee-deziles Il y a 9 ans

Six heures trente, à peine.
Immobile, la ville dort emmaillotée dans ses traînées de nébulosité. Et moi je me traîne dans les ruelles pavées. Le bourdonnement urbain, à peine perceptible depuis le coeur de la cité historique, glisse sur les ruelles pavées et m'offre un premier répit. Je suis là pour ça, me mettre en retrait de la routine. J'ai envie que pour un moment, même qu'un petit instant, rien ne s'impose à moi. Pas même les klaxons, pétarades et crissements d'engins qui ponctuent habituellement mes petits matins. Je remercie ces côtes que j'ai tant sué à gravir la veille pour dormir au pied du rocher Corneille, sous la protection de la géante vierge. Pour moi, le voyage commence là, hors du monde. Loin du centre ville du Puy-En-Velay, c'est déjà un début!

Rue des Tables, les rideaux de fer, encore baissés des échoppes à souvenir, frissonnent à peine à mon passage. Les moineaux eux-mêmes peinent à s'activer. Seul, un bruissement s'élève, tout en haut du colossal escalier en pierre taillée. Sacré escalier! Combien de marches? Inutiles de compter, je suis venue pour ça, alors j'escalade, sans trop réfléchir, ce dont mon cerveau embrumé me remercie.

Là-haut, dans l'écho des civilités étouffées sous la nef centrale de la cathédrale, l'agencement des pèlerins s'organise, à grands coups de godillots dans les bancs en bois. Immuable, l'orgue résonne tandis que l'on se défait, au pied des prie-dieu : de son sac, ses bâtons, son chapeau, sa gourde, tout cela en un amoncellement périlleux, mais qui se veut méthodique. L'abbé répète avec bienveillance, comme tous les matins, comme tous ses confrères avant lui et ceux qui le feront après, ses larges gestes tantôt à droite, tantôt à gauche. Ses gesticulations encouragent les indécis, bousculant les plus timides, à prendre place pour débuter la cérémonie.

Depuis son autel la vierge noire trône, la tête de son marmot dépassant à peine de son épaisse cape brodée et passementée d'or. Ni croyante, ni pèlerine, pourtant je m'exécute sous leurs regards vides. Inébranlables, les icônes nous toisent du haut de leurs siècles d'immobilité. Comme elles ont fixé des générations et des générations de voyageurs et comme elles le feront après mon insignifiant passage. Trois marcheurs technologiquement vêtus s'avancent vers l'autel, se retournent et entonnent un chant qui fait taire l'assemblée. C'est émouvant cette solennité. Le prêtre nous parle du voyage à venir : "C'est le bâton qui fait le pèlerin". Pour la première fois, j'écoute. Et avec la plus grande attention, mon esprit envisage enfin ce que ce périple pourra m'apporter, ce qu'il pourra signifier. Par ma simple présence en ce lieu chargé d'histoires, j'ai l'impression d'appartenir à un ensemble bien plus grand que ma petite vie et ses dommages collatéraux. Je n'ai pas encore marché que déjà je trouve en ce voyage un réconfort inattendu.

J'ai un papillon, là, au creux du ventre. Il n'y a pourtant pas d'enjeu là-dedans. Il n'y a pas de raison de ressentir un quelconque malaise. Mes doigts se croisent et s'entrecroisent machinalement et me trahissent. Alors ma raison me dicte d'afficher une impassibilité, qui pourrait passer pour de l'ennui. Tiens, on me salue, je me détourne. Un visage enfantin, son christ pendu au cou et son allure empruntée de celui qui s'excuse d'être là où il est, tout en sachant qu'il ne serait pas mieux ailleurs, me sourit. On s'embrasse, on s'est rencontré la veille, à Langogne en attendant que le bus arrive pour nous grimper jusqu'au Puy. Il est en retard, je souris. La coquille accrochée à son sac heurte violemment le bois dans un claquement qui fait retourner les trois rangs de devant. Je regarde mes pieds, pour mimer une prière ou tout au moins faire celle qui n'a rien entendu. - Qu'est-ce que tu fais ici? Oui, hier quand il m'a parlé de cette cérémonie, franchement je m'en contrebalançais. Et aujourd'hui, je suis là. - Je suis venue voir. Un haussement d'épaule révèle sans doute mon dépit, mais c'est vrai que je dois avoir le trac. J'ai mal dormi. De ma fenêtre, la grande vierge illuminée me regardait avec sa compassion de bonne-maman. Mais toute sa miséricorde n'a pas apaisé le mélange d'excitation et d'appréhension qui a rythmé ma nuit. Et puis là, au milieu de ces gens, c'est comme si je me donne du courage, profiter de l'élan collectif, des encouragements du prêtre pour oser me lancer et partir seule. J'ai l'impression de jouer la montre, retarder ce fameux moment de solitude que je cherche pourtant. Un peu couarde sur ce coup. Bruno me sourit. Une famille s'avance vers l'autel puis nous fait volte-face. Immenses et blonds, leurs voix s'élèvent d'un battement d'aile. Un air à quatre voix inonde la cathédrale et m'enveloppe. Ils parlent une langue je ne comprends pas, mais qu'importe, c'est juste magnifique de les voir se répondre, se suivre, s'interrompre et reprendre en choeur une mélodie enjouée et pleine d'allant. L'assemblée les applaudit et ils retournent anonymes dans les rangs, avec une mine de satisfaction. Chacune de mes inspirations se veut profonde et chasse peu à peu l'inquiétude au profit d'une énorme envie de grand air et d'isolement. J'ai envie de partir, j'ai envie que ça commence. C'est maintenant. Tout le monde autour de moi aussi chuchote, réajuste ses lacets, se fait signe. Ca piaffe dans la masse, mais le prêtre ne s'en laisse pas compter. L'office suit son immuable déroulement et l'homme nous rassemble sur le côté de la nef, près des intentions de prière que des visiteurs de la cathédrale ont déposé dans des petites enveloppes bleues. Il tend la boîte en bois au premier pèlerin et lui demande d'en piocher une, la lire, y penser de tout son coeur durant son voyage et l'apporter si ce n'est à Santiago, au moins jusqu'à Dieu. Nous sourions. - Tu en prends une? Un sursaut me fige. Je fixe Bruno un peu consternée. Il n'a vraiment rien écouté de ce que je lui ai dit à moins qu'il n'envisage ma présence ici comme le résultat d'une révélation survenue dans la nuit. La boîte passe de mains en mains. Il suit des yeux cette pioche qui slalome entre les bruyants k-ways aux couleurs électriques et quand vient son tour saisit avec gourmandise une enveloppe toute lisse. Je passe la précieuse boîte à ma dévote voisine. Je ne suis pas à la hauteur d'une telle mission. Ce serait une piètre duperie que de priver l'espoir d'une personne d'arriver à son destinataire. Mes yeux glissent de la coupole à la vierge noire, remontent vers le vitrail du choeur, tournent vers l'orgue et je m'étourdis à imprimer chacune de ces images. Je suis heureuse d'être venue ici avant de partir, d'assumer une part de spiritualité dans ce voyage, que je n'avais jamais envisagée avant de fermer la porte derrière moi. Je suis heureuse de m'être laissée convaincre par le séminariste belge, le retraité canadien et aussi Bruno, complètement transcendé par sa nouvelle mission d'ambassadeur auprès des plus hautes instances catholiques. Pour une fois que je prends en compte des conseils non sollicités, j'entrevois pour la première fois que je suis capable de laisser des portes ouvertes, en dépit de mes convictions. "Je progresse, me dis-je à moi-même!" Ca me fait sourire. Bruno me prend par l'épaule et m'embrasse dans l'allégresse du moment et parce qu'il pense que ce sourire lui était adressé! Brusquement, les cloches retentissent au-dessus de nous. D'un seul mouvement, les pèlerins se retournent vers l'allée centrale d'où deux immenses pans se soulèvent du sol. Le plancher s'ouvre alors sous nos pieds sur l'immense escalier qui dévale jusqu'en bas de la rue pavée. Tout le monde, n'y tenant plus, s'engouffre sans un mot, le jeune évangéliste à mes côtés.
alizee-deziles Il y a 9 ans

J'ai un papillon, là, au creux du ventre. Il n'y a pourtant pas d'enjeu là-dedans. Il n'y a pas de raison de ressentir un quelconque malaise. Mes doigts se croisent et s'entrecroisent machinalement et me trahissent. Alors ma raison me dicte d'afficher une impassibilité, qui pourrait passer pour de l'ennui. Tiens, on me salue, je me détourne. Un visage enfantin, son christ pendu au cou et son allure empruntée de celui qui s'excuse d'être là où il est, tout en sachant qu'il ne serait pas mieux ailleurs, me sourit. On s'embrasse, on s'est rencontré la veille, à Langogne en attendant que le bus arrive pour nous grimper jusqu'au Puy. Il est en retard, je souris. La coquille accrochée à son sac heurte violemment le bois dans un claquement qui fait retourner les trois rangs de devant. Je regarde mes pieds, pour mimer une prière ou tout au moins faire celle qui n'a rien entendu.

- Qu'est-ce que tu fais ici? Oui, hier quand il m'a parlé de cette cérémonie, franchement je m'en contrebalançais. Et aujourd'hui, je suis là.
- Je suis venue voir. Un haussement d'épaule révèle sans doute mon dépit, mais c'est vrai que je dois avoir le trac.
J'ai mal dormi. De ma fenêtre, la grande vierge illuminée me regardait avec sa compassion de bonne-maman. Mais toute sa miséricorde n'a pas apaisé le mélange d'excitation et d'appréhension qui a rythmé ma nuit. Et puis là, au milieu de ces gens, c'est comme si je me donne du courage, profiter de l'élan collectif, des encouragements du prêtre pour oser me lancer et partir seule. J'ai l'impression de jouer la montre, retarder ce fameux moment de solitude que je cherche pourtant. Un peu couarde sur ce coup. Bruno me sourit.

Une famille s'avance vers l'autel puis nous fait volte-face. Immenses et blonds, leurs voix s'élèvent d'un battement d'aile. Un air à quatre voix inonde la cathédrale et m'enveloppe. Ils parlent une langue je ne comprends pas, mais qu'importe, c'est juste magnifique de les voir se répondre, se suivre, s'interrompre et reprendre en choeur une mélodie enjouée et pleine d'allant. L'assemblée les applaudit et ils retournent anonymes dans les rangs, avec une mine de satisfaction.

Chacune de mes inspirations se veut profonde et chasse peu à peu l'inquiétude au profit d'une énorme envie de grand air et d'isolement. J'ai envie de partir, j'ai envie que ça commence. C'est maintenant. Tout le monde autour de moi aussi chuchote, réajuste ses lacets, se fait signe. Ca piaffe dans la masse, mais le prêtre ne s'en laisse pas compter. L'office suit son immuable déroulement et l'homme nous rassemble sur le côté de la nef, près des intentions de prière que des visiteurs de la cathédrale ont déposé dans des petites enveloppes bleues. Il tend la boîte en bois au premier pèlerin et lui demande d'en piocher une, la lire, y penser de tout son coeur durant son voyage et l'apporter si ce n'est à Santiago, au moins jusqu'à Dieu. Nous sourions.

- Tu en prends une? Un sursaut me fige. Je fixe Bruno un peu consternée. Il n'a vraiment rien écouté de ce que je lui ai dit à moins qu'il n'envisage ma présence ici comme le résultat d'une révélation survenue dans la nuit. La boîte passe de mains en mains. Il suit des yeux cette pioche qui slalome entre les bruyants k-ways aux couleurs électriques et quand vient son tour saisit avec gourmandise une enveloppe toute lisse. Je passe la précieuse boîte à ma dévote voisine. Je ne suis pas à la hauteur d'une telle mission. Ce serait une piètre duperie que de priver l'espoir d'une personne d'arriver à son destinataire.

Mes yeux glissent de la coupole à la vierge noire, remontent vers le vitrail du choeur, tournent vers l'orgue et je m'étourdis à imprimer chacune de ces images. Je suis heureuse d'être venue ici avant de partir, d'assumer une part de spiritualité dans ce voyage, que je n'avais jamais envisagée avant de fermer la porte derrière moi. Je suis heureuse de m'être laissée convaincre par le séminariste belge, le retraité canadien et aussi Bruno, complètement transcendé par sa nouvelle mission d'ambassadeur auprès des plus hautes instances catholiques. Pour une fois que je prends en compte des conseils non sollicités, j'entrevois pour la première fois que je suis capable de laisser des portes ouvertes, en dépit de mes convictions. "Je progresse, me dis-je à moi-même!" Ca me fait sourire. Bruno me prend par l'épaule et m'embrasse dans l'allégresse du moment et parce qu'il pense que ce sourire lui était adressé!

Brusquement, les cloches retentissent au-dessus de nous. D'un seul mouvement, les pèlerins se retournent vers l'allée centrale d'où deux immenses pans se soulèvent du sol. Le plancher s'ouvre alors sous nos pieds sur l'immense escalier qui dévale jusqu'en bas de la rue pavée. Tout le monde, n'y tenant plus, s'engouffre sans un mot, le jeune évangéliste à mes côtés.

La ville s'est réveillée. - T'as déjeuné? - Oui et toi? - Non, je n'ai pas faim. Nous regardons la ville dardée par le soleil de juillet. Elle n'est plus cette forteresse qui retenait ses clameurs. Les voitures ont envahi les rues, les camions livrent les magasins, les passants courent à leur travail. Merde, fini le romanesque, j'atterris en quelques secondes dans la réalité toute matérielle : trouver le chemin, m'éloigner de la ville, acheter à manger pour ce midi parce que je serai plongée au milieu du Velay à deux heures de tout lieu de ravitaillement, poster le chèque à l'avocat pour clôturer ce divorce. Bruno n'arrête pas de me parler et je ne sais même plus par quoi commencer. -Tu t'arrêtes où ce soir? -Je sais pas. -Tu n'as pas réservé de gîte? -Si mais j'ai préparé ça en mai et je ne m'en souviens plus. Il a pas tort le môme, il serait intéressant que je sache où je dois m'arrêter, histoire de ne pas marcher plus qu'il n'en faut quand même! -Mon chapeau! -Quoi ton chapeau? Il me retient par le bras et se retourne sur lui-même, cherchant à voir derrière son sac. T'as vu mon chapeau, il est accroché à mon sac? -Non, tu as dû le laisser sur un banc, là haut. Nous nous retournons pour constater l'ampleur des dégâts. A peine cinq minutes que nous marchons, mais uniquement en descente. -C'est mon chapeau de jeune scout, j'y tiens. -Retourne le chercher, on se retrouvera bien sur le chemin. Pour la deuxième fois de la matinée, il entreprend donc l'assommante ascension de la cité historique, écrasé sous son énorme sac, coquille ballotante. Je jubile à l'idée de me débarrasser de lui sans paraître grossière, parce que notre compagnonnage ne me paraissait vraiment pas viable, mais comment lui dire? Ma mesquinerie me rassure, je ne suis pas devenue chrétienne! Passons le quart d'heure "grand blond avec une chaussure noire" lorsque je fais le chèque au pied d'une boîte aux lettres avant de me rendre compte qu'il me faut des timbres, aller à la poste, trouver une épicerie, tout cela en bataillant avec mes bâtons de marche et mon topoguide (trois objets et deux mains, ça n'est jamais vraiment pratique), chargeant et déchargeant le sac de mes épaules comme s'il pesait dix tonnes à chaque station que j'effectue. Quand je me trouve fin prête pour l'aventure, le marquage blanc et rouge du GR est bien loin de moi. Etre une aventurière ne s'improvise pas. Je penserai pour la prochaine fois à investir dans cette pochette plastique toute moche qui pend aux cous des vieux randonneurs pour y mettre les cartes à l'abri de la pluie, à gérer le paiement de l'impôt ou signer tout acte important avant le départ et faire les courses pour la pause méridienne la veille, quand je peux encore marcher sans ce sac à dos très encombrant. Je sais que je suis sur le bon chemin lorsque j'aperçois au loin Christine et Pascal avec qui j'ai soupé hier. "Regarde, Pascal a imprimé notre feuille de route!" Et je les revois entre la poire et le fromage avec leur air triomphant déballer trois feuilles A4 avec un tableur imprimé en quadrichromie : longueur de l'étape, dénivelé, gîte, prix etc. Horreur, malheur! J'ai échappé à Bruno, je ne veux pas marcher avec eux! J'active le pas et ce n'est pas chose aisée. Nous devons remonter vers le sud, sortir de cette cuvette où se trouve la ville. Je m'essouffle, n'osant pas me retourner de peur de croiser leurs regards, devoir m'arrêter pour les saluer et ensuite me les coltiner pour la journée. Alors je ne lâche rien, petits pas par petits pas, je ne lâche rien, jusqu'à ce que je n'en puisse plus. Soif, le sac me fait mal, la côte s'efface sur un plateau de pâtures et cultures. Je sais qu'ils ne peuvent pas être bien prêts alors je m'arrête, extirpe une bouteille d'eau que j'ai eu tant de mal à installer tout à l'heure dans mon 50 litres plein à ras bord. Quand j'ose enfin me retourner, je vois la ville toute petite à mes pieds. Je n'en reviens pas. La Vierge fait un peu moins la maligne vu d'ici. Tout semble minuscule et le grondement citadin n'est déjà plus qu'un souvenir. Je me félicite de ce que mes petits pas entêtés viennent de réaliser. Je me sens pousser des ailes. Et quand j'empoigne à nouveau mon monstrueux sac je sais que j'irai au bout, qu'il ne fait aucun doute que je réussirai.
alizee-deziles Il y a 9 ans

La ville s'est réveillée.
- T'as déjeuné?
- Oui et toi?
- Non, je n'ai pas faim.
Nous regardons la ville dardée par le soleil de juillet. Elle n'est plus cette forteresse qui retenait ses clameurs. Les voitures ont envahi les rues, les camions livrent les magasins, les passants courent à leur travail. Merde, fini le romanesque, j'atterris en quelques secondes dans la réalité toute matérielle : trouver le chemin, m'éloigner de la ville, acheter à manger pour ce midi parce que je serai plongée au milieu du Velay à deux heures de tout lieu de ravitaillement, poster le chèque à l'avocat pour clôturer ce divorce. Bruno n'arrête pas de me parler et je ne sais même plus par quoi commencer.
-Tu t'arrêtes où ce soir?
-Je sais pas.
-Tu n'as pas réservé de gîte?
-Si mais j'ai préparé ça en mai et je ne m'en souviens plus. Il a pas tort le môme, il serait intéressant que je sache où je dois m'arrêter, histoire de ne pas marcher plus qu'il n'en faut quand même!
-Mon chapeau!
-Quoi ton chapeau? Il me retient par le bras et se retourne sur lui-même, cherchant à voir derrière son sac. T'as vu mon chapeau, il est accroché à mon sac?
-Non, tu as dû le laisser sur un banc, là haut. Nous nous retournons pour constater l'ampleur des dégâts. A peine cinq minutes que nous marchons, mais uniquement en descente.
-C'est mon chapeau de jeune scout, j'y tiens.
-Retourne le chercher, on se retrouvera bien sur le chemin. Pour la deuxième fois de la matinée, il entreprend donc l'assommante ascension de la cité historique, écrasé sous son énorme sac, coquille ballotante. Je jubile à l'idée de me débarrasser de lui sans paraître grossière, parce que notre compagnonnage ne me paraissait vraiment pas viable, mais comment lui dire? Ma mesquinerie me rassure, je ne suis pas devenue chrétienne!
Passons le quart d'heure "grand blond avec une chaussure noire" lorsque je fais le chèque au pied d'une boîte aux lettres avant de me rendre compte qu'il me faut des timbres, aller à la poste, trouver une épicerie, tout cela en bataillant avec mes bâtons de marche et mon topoguide (trois objets et deux mains, ça n'est jamais vraiment pratique), chargeant et déchargeant le sac de mes épaules comme s'il pesait dix tonnes à chaque station que j'effectue. Quand je me trouve fin prête pour l'aventure, le marquage blanc et rouge du GR est bien loin de moi. Etre une aventurière ne s'improvise pas. Je penserai pour la prochaine fois à investir dans cette pochette plastique toute moche qui pend aux cous des vieux randonneurs pour y mettre les cartes à l'abri de la pluie, à gérer le paiement de l'impôt ou signer tout acte important avant le départ et faire les courses pour la pause méridienne la veille, quand je peux encore marcher sans ce sac à dos très encombrant.

Je sais que je suis sur le bon chemin lorsque j'aperçois au loin Christine et Pascal avec qui j'ai soupé hier. "Regarde, Pascal a imprimé notre feuille de route!" Et je les revois entre la poire et le fromage avec leur air triomphant déballer trois feuilles A4 avec un tableur imprimé en quadrichromie : longueur de l'étape, dénivelé, gîte, prix etc. Horreur, malheur! J'ai échappé à Bruno, je ne veux pas marcher avec eux! J'active le pas et ce n'est pas chose aisée. Nous devons remonter vers le sud, sortir de cette cuvette où se trouve la ville. Je m'essouffle, n'osant pas me retourner de peur de croiser leurs regards, devoir m'arrêter pour les saluer et ensuite me les coltiner pour la journée. Alors je ne lâche rien, petits pas par petits pas, je ne lâche rien, jusqu'à ce que je n'en puisse plus. Soif, le sac me fait mal, la côte s'efface sur un plateau de pâtures et cultures. Je sais qu'ils ne peuvent pas être bien prêts alors je m'arrête, extirpe une bouteille d'eau que j'ai eu tant de mal à installer tout à l'heure dans mon 50 litres plein à ras bord. Quand j'ose enfin me retourner, je vois la ville toute petite à mes pieds. Je n'en reviens pas. La Vierge fait un peu moins la maligne vu d'ici. Tout semble minuscule et le grondement citadin n'est déjà plus qu'un souvenir. Je me félicite de ce que mes petits pas entêtés viennent de réaliser. Je me sens pousser des ailes.
Et quand j'empoigne à nouveau mon monstrueux sac je sais que j'irai au bout, qu'il ne fait aucun doute que je réussirai.

"Bonjour!" C'est une vieille dame qui réagit à mon entrée dans le salon avec mes gros godillots terreux, avant de reprendre aussitôt sa conversation. Elle me tourne le dos pour faire face à un homme hirsute complètement perdu dans ses habits fatigués, bien trop grands pour lui. Je m'avance avec l'élégance naturelle d'une tortue encombrée par sa carapace. Je m'approche d'eux flanquée d'un sourire circonspect et aussi maladroitement que mon accoutrement me le permet, sans que cela n'interrompe leur conversation. Bien. Puisqu'ils ne sont pas décidés à prendre ma présence en considération, je me lance alors dans l'inspection des affiches de parcours de randonnées de la région qui tiennent lieu de décoration entre le canapé fatigué lui aussi et l'étagère couverte de brochures diverses. J'en peux plus, j'en ai marre, ce sac me brûle le haut du dos, j'ai mal aux pieds, j'ai soif, j'ai envie que ça s'arrête. "Qui s'occupe de cet endroit! beuglé-je en moi même?" A peine j'amorce un pas en arrière que leur conversation prend fin avec le départ de la grand-mère. -Venez, me dit-il en me prenant par le bras. Vous pouvez poser votre sac là. Il désigne un lit superposé où couvertures et édredons s'amoncellent sur le lit d'en haut. La pièce ne fait pas neuf mètres carrés, trois lits superposés sont adossés à chacun des murs et le quatrième donne sur une porte fenêtre ouverte sur les vallons du Monastier. -Vous pouvez laver votre linge ici (les lavabos des sanitaires dans la pièce d'à côté) et l'étendre là (un étendoir accroché au balcon de la porte-fenêtre de la chambre) ou dans le petit jardin en bas. Le repas est servi entre 19h et 19h10. Ca vous va? Je ne pense pas que ce soit une vraie question, je le regarde interdite. J'aurai bien aimé un accueil différent, mais bon, c'est comme ça. Moi je fais un truc exceptionnel pour moi, lui, c'est son boulot, sa routine de métro-boulot-dodo. Alors non ça ne me va pas. Je voudrais que tu me masses les pieds monsieur et que tu m'apportes une glace fait-maison avec un air de Brel s'il vous plaît. Mais je n'ai que le courage de dire "Oui, merci. A tout à l'heure." Je quitte mon fardeau pour la journée. Arrivée, je suis arrivée et une vague immense de soulagement me submerge. La satisfaction démesurée que j'éprouve face à l'événement du jour me fait un peu honte. Parce que ce sont à peine 20 km, parce que ce n'est que la France, parce que c'est à la portée de n'importe qui. Qu'importe, je savoure le plaisir de la tâche accomplie, je suis partie, je l'ai fait. Sur le balcon, je m'avance et me baigne toute entière dans la chaleur du soleil. Les vallons boisés s'étendent à perte de vue et assourdissent le chant de la Gazeille qui serpente en contrebas. De chaque côté, les maisons en vieilles pierres résonnent des bruits d'enfants qui jouent à l'ombre. Il n'est que 16 heures et la journée est loin d'être terminée. - C'est pas grand ici, s'exclame une voix dans mon dos! La petite dame du salon vide méthodiquement, sur son lit d'un soir, le contenu de son sac. Je jette un rapide -effectivement, il ne peut en être autrement- coup d'oeil circulaire à l'intérieur de la chambre. Nous ne sommes que deux et déjà nous devons nous organiser pour nous y déplacer. Alors que puis-je répondre? Fichtre, Bruno! Sors de ce corps de vieille dame! Alors oui, je lui fais la conversation. Un peu. C'est Josette, elle arrive de Vendée, en train. Enfin son train s'est arrêté à Langogne ce matin et elle a pris le bus pour arriver à sa première étape... - parce que le GR 70 ne commence qu'au Monastier et ça ne sert à rien de partir du Puy-En-Velay parce qu'on n'est pas là pour faire le Compostelle non plus? Elle ne s'arrêtera jamais? - On n'est pas des grenouilles de bénitier, hein? Elle ne s'arrêtera jamais! Je décide de tirer un livre de mon sac pour couper court à ce flot ininterrompu. Sa logorrhée accompagne ma tentative de fouille qui se transforme alors en une véritable expédition. Bien sûr que j'ai lu tous les conseils pour bien faire son sac et que de connaître la place de chaque chose est la clé de voûte d'une rando réussi. Qu'importe, je n'ai jamais su ranger ni ma chambre, ni mon bureau, ni ma maison, j'ai survécu jusque-là, je pense bien survivre à cette rando malgré mon bordélisme chronique. Essoufflée par mon investigation, je m'assieds sur le rebord du lit ce que Josette considère comme un regain d'attention pour son histoire. Elle me parle de son salaud de mari qui l'a quitté à deux ans de la retraite pour retrouver son amour de jeunesse. Mais elle a appris récemment qu'il avait une tumeur de la prostate et que ça lui faisait bien rire qu'il crève à petit feu! Mon Dieu, qu'elle se taise! Dans une ultime offensive j'ouvre d'un coup la fermeture éclair du sac qui se déverse tel un volcan, crachant culottes, reste du jambon de ce midi, livre, pansement et autres paires de chaussettes. Disons que ma méthode d'installation est beaucoup moins rodée que la sienne et a le défaut d'encombrer la moitié de la pièce. A moitié confuse, mais aussi satisfaite du résultat : Josette s'interrompt face à ma balourdise. Incidemment, je pousse du pied mon éruption volcanique sous le lit et me plonge dans la lecture aléatoire du premier livre qui me tombe sous la main. Fin de la conversation. Josette décide alors de prendre une douche, un couple fait son apparition en me saluant discrètement et en murmurant pour ne pas me tirer de ma lecture. Je vous aime! Tandis que je lis avec une intensité feinte, je ne peux m'empêcher d'observer leur installation. C'est le bruit des sacs de congélation qu'elle retire de son sac qui m'intrigue. L'homme part aussitôt dans la salle de bain avec deux de ces sachets en plastique fermés par un zip. Il en revient tout propre avec une nouvelle tenue aux couleurs vives. "Va te laver, je vais faire la lessive, lui dit-il." Et elle part à son tour avec le sac de congélation qui doit tenir lieu de trousse de toilette et un autre sac pour sa tenue de rechange. Monsieur lave le linge et Josette revient toute ébouriffée de sa douche. Bon, action! Je crois que ce n'est pas très sérieux de lire dans ma tenue transpirante du jour. Machinalement, j'imite ce couple qui fonctionne comme un mécanisme bien huilé. Puisque je n'ai pas d'habitudes dans cette nouvelle vie, il me semble -dans un éclair de lucidité- que cette voie là ne doit pas être la moins bonne. Aussitôt je me jette sous la douche et en profite pour laver le tee-shirt, les chaussettes et ma jupe de rando avec mon shampoing. Les étendoirs sont saturés et je me contente des dossiers des chaises dans le salon de jardin en contrebas. Une demi-heure pour démêler mes cheveux que je tresse pour éviter d'avoir à m'en occuper demain et me voilà enfin seule dans le gîte. Apaisée par cette solitude, je suis prête pour musarder dans le village. Pas de message dans le téléphone, j'appelle mon amie et la rassure, j'appelle ma maman et la rassure. J'appelle Ludo? Il pourrait m'appeler quand même! Hier il m'a tout juste envoyé un "Ca va?". Je suis à l'autre bout de la France, seule et il s'en fout. Sans but, je rôde dans le village, plus accaparée par ma lutte intérieure : j'appelle, j'appelle pas, que par l'église aux pierres multicolores. Voilà deux jours que j'ai réussi à feindre l'ignorance, faire semblant que toute cette indifférence ne me concerne pas. Et là que mon esprit n'est plus monopolisé par les signes blancs et rouges, où dormir, quoi manger ; il me ramène sans cesse vers lui, nous, cette vie qui nous sépare. Je craque, comme d'habitude, c'est moi qui craque. Je l'appelle quand même. Il me dit qu'il m'aime. Je sais pas. "Prends soin de toi". On pourrait être ensemble, on pourrait faire ça à deux, mais non, c'est pas possible, ce serait trop facile d'être heureux. L'amertume des choses qui ne se passent pas comme elle pourrait me mord la langue. 19h12, l'homme hirsute est en cuisine - un drap tiré entre son évier et notre attablée : Josette, les maniaques des sacs de congélation, un jeune couple belge et moi-même. Comment s'appelle-t-il ce fantôme du gîte? Je ne sais plus s'il nous l'a dit ou si c'est juste moi qui ne m'en souvient pas. Il s'affaire derrière son rideau à grands coups de casseroles. Pas bavard, il nous néglige et seuls les tintements de bouteille de verre, les chuintements de la porte du réfrigérateur qui s'ouvre dans ce bruit de plastique collant nous tiennent compagnie. Il nous laisse à nous autres marcheurs, le soin de l'animation. Personne ne se connaît, alors ce silence pesant où personne n'ose respirer plus fort que son voisin nous étreint. J'ai pas envie que ce soit triste, j'ai pas envie de banalités, j'ai pas envie de silence, pas envie des détails de la vie de Josette - 68 ans à résumer en une soirée, j'ai peur! Timidement, je me lance en taquinant le couple sur leur organisation en mode "sac de congélation".
alizee-deziles Il y a 9 ans

"Bonjour!"
C'est une vieille dame qui réagit à mon entrée dans le salon avec mes gros godillots terreux, avant de reprendre aussitôt sa conversation. Elle me tourne le dos pour faire face à un homme hirsute complètement perdu dans ses habits fatigués, bien trop grands pour lui. Je m'avance avec l'élégance naturelle d'une tortue encombrée par sa carapace. Je m'approche d'eux flanquée d'un sourire circonspect et aussi maladroitement que mon accoutrement me le permet, sans que cela n'interrompe leur conversation.
Bien. Puisqu'ils ne sont pas décidés à prendre ma présence en considération, je me lance alors dans l'inspection des affiches de parcours de randonnées de la région qui tiennent lieu de décoration entre le canapé fatigué lui aussi et l'étagère couverte de brochures diverses. J'en peux plus, j'en ai marre, ce sac me brûle le haut du dos, j'ai mal aux pieds, j'ai soif, j'ai envie que ça s'arrête. "Qui s'occupe de cet endroit! beuglé-je en moi même?" A peine j'amorce un pas en arrière que leur conversation prend fin avec le départ de la grand-mère.
-Venez, me dit-il en me prenant par le bras. Vous pouvez poser votre sac là.
Il désigne un lit superposé où couvertures et édredons s'amoncellent sur le lit d'en haut. La pièce ne fait pas neuf mètres carrés, trois lits superposés sont adossés à chacun des murs et le quatrième donne sur une porte fenêtre ouverte sur les vallons du Monastier.
-Vous pouvez laver votre linge ici (les lavabos des sanitaires dans la pièce d'à côté) et l'étendre là (un étendoir accroché au balcon de la porte-fenêtre de la chambre) ou dans le petit jardin en bas. Le repas est servi entre 19h et 19h10. Ca vous va?
Je ne pense pas que ce soit une vraie question, je le regarde interdite. J'aurai bien aimé un accueil différent, mais bon, c'est comme ça. Moi je fais un truc exceptionnel pour moi, lui, c'est son boulot, sa routine de métro-boulot-dodo. Alors non ça ne me va pas. Je voudrais que tu me masses les pieds monsieur et que tu m'apportes une glace fait-maison avec un air de Brel s'il vous plaît. Mais je n'ai que le courage de dire "Oui, merci. A tout à l'heure."
Je quitte mon fardeau pour la journée.
Arrivée, je suis arrivée et une vague immense de soulagement me submerge. La satisfaction démesurée que j'éprouve face à l'événement du jour me fait un peu honte. Parce que ce sont à peine 20 km, parce que ce n'est que la France, parce que c'est à la portée de n'importe qui. Qu'importe, je savoure le plaisir de la tâche accomplie, je suis partie, je l'ai fait.
Sur le balcon, je m'avance et me baigne toute entière dans la chaleur du soleil. Les vallons boisés s'étendent à perte de vue et assourdissent le chant de la Gazeille qui serpente en contrebas. De chaque côté, les maisons en vieilles pierres résonnent des bruits d'enfants qui jouent à l'ombre. Il n'est que 16 heures et la journée est loin d'être terminée.
- C'est pas grand ici, s'exclame une voix dans mon dos!
La petite dame du salon vide méthodiquement, sur son lit d'un soir, le contenu de son sac.
Je jette un rapide -effectivement, il ne peut en être autrement- coup d'oeil circulaire à l'intérieur de la chambre. Nous ne sommes que deux et déjà nous devons nous organiser pour nous y déplacer. Alors que puis-je répondre?
Fichtre, Bruno! Sors de ce corps de vieille dame! Alors oui, je lui fais la conversation. Un peu.
C'est Josette, elle arrive de Vendée, en train. Enfin son train s'est arrêté à Langogne ce matin et elle a pris le bus pour arriver à sa première étape...
- parce que le GR 70 ne commence qu'au Monastier et ça ne sert à rien de partir du Puy-En-Velay parce qu'on n'est pas là pour faire le Compostelle non plus?
Elle ne s'arrêtera jamais?
- On n'est pas des grenouilles de bénitier, hein?
Elle ne s'arrêtera jamais!
Je décide de tirer un livre de mon sac pour couper court à ce flot ininterrompu. Sa logorrhée accompagne ma tentative de fouille qui se transforme alors en une véritable expédition. Bien sûr que j'ai lu tous les conseils pour bien faire son sac et que de connaître la place de chaque chose est la clé de voûte d'une rando réussi. Qu'importe, je n'ai jamais su ranger ni ma chambre, ni mon bureau, ni ma maison, j'ai survécu jusque-là, je pense bien survivre à cette rando malgré mon bordélisme chronique. Essoufflée par mon investigation, je m'assieds sur le rebord du lit ce que Josette considère comme un regain d'attention pour son histoire. Elle me parle de son salaud de mari qui l'a quitté à deux ans de la retraite pour retrouver son amour de jeunesse. Mais elle a appris récemment qu'il avait une tumeur de la prostate et que ça lui faisait bien rire qu'il crève à petit feu!
Mon Dieu, qu'elle se taise!
Dans une ultime offensive j'ouvre d'un coup la fermeture éclair du sac qui se déverse tel un volcan, crachant culottes, reste du jambon de ce midi, livre, pansement et autres paires de chaussettes. Disons que ma méthode d'installation est beaucoup moins rodée que la sienne et a le défaut d'encombrer la moitié de la pièce. A moitié confuse, mais aussi satisfaite du résultat : Josette s'interrompt face à ma balourdise. Incidemment, je pousse du pied mon éruption volcanique sous le lit et me plonge dans la lecture aléatoire du premier livre qui me tombe sous la main.
Fin de la conversation.

Josette décide alors de prendre une douche, un couple fait son apparition en me saluant discrètement et en murmurant pour ne pas me tirer de ma lecture. Je vous aime! Tandis que je lis avec une intensité feinte, je ne peux m'empêcher d'observer leur installation. C'est le bruit des sacs de congélation qu'elle retire de son sac qui m'intrigue. L'homme part aussitôt dans la salle de bain avec deux de ces sachets en plastique fermés par un zip. Il en revient tout propre avec une nouvelle tenue aux couleurs vives. "Va te laver, je vais faire la lessive, lui dit-il." Et elle part à son tour avec le sac de congélation qui doit tenir lieu de trousse de toilette et un autre sac pour sa tenue de rechange. Monsieur lave le linge et Josette revient toute ébouriffée de sa douche.
Bon, action! Je crois que ce n'est pas très sérieux de lire dans ma tenue transpirante du jour. Machinalement, j'imite ce couple qui fonctionne comme un mécanisme bien huilé. Puisque je n'ai pas d'habitudes dans cette nouvelle vie, il me semble -dans un éclair de lucidité- que cette voie là ne doit pas être la moins bonne. Aussitôt je me jette sous la douche et en profite pour laver le tee-shirt, les chaussettes et ma jupe de rando avec mon shampoing. Les étendoirs sont saturés et je me contente des dossiers des chaises dans le salon de jardin en contrebas. Une demi-heure pour démêler mes cheveux que je tresse pour éviter d'avoir à m'en occuper demain et me voilà enfin seule dans le gîte. Apaisée par cette solitude, je suis prête pour musarder dans le village.

Pas de message dans le téléphone, j'appelle mon amie et la rassure, j'appelle ma maman et la rassure. J'appelle Ludo? Il pourrait m'appeler quand même! Hier il m'a tout juste envoyé un "Ca va?". Je suis à l'autre bout de la France, seule et il s'en fout.
Sans but, je rôde dans le village, plus accaparée par ma lutte intérieure : j'appelle, j'appelle pas, que par l'église aux pierres multicolores. Voilà deux jours que j'ai réussi à feindre l'ignorance, faire semblant que toute cette indifférence ne me concerne pas. Et là que mon esprit n'est plus monopolisé par les signes blancs et rouges, où dormir, quoi manger ; il me ramène sans cesse vers lui, nous, cette vie qui nous sépare.
Je craque, comme d'habitude, c'est moi qui craque. Je l'appelle quand même. Il me dit qu'il m'aime. Je sais pas. "Prends soin de toi". On pourrait être ensemble, on pourrait faire ça à deux, mais non, c'est pas possible, ce serait trop facile d'être heureux. L'amertume des choses qui ne se passent pas comme elle pourrait me mord la langue.

19h12, l'homme hirsute est en cuisine - un drap tiré entre son évier et notre attablée : Josette, les maniaques des sacs de congélation, un jeune couple belge et moi-même. Comment s'appelle-t-il ce fantôme du gîte? Je ne sais plus s'il nous l'a dit ou si c'est juste moi qui ne m'en souvient pas. Il s'affaire derrière son rideau à grands coups de casseroles. Pas bavard, il nous néglige et seuls les tintements de bouteille de verre, les chuintements de la porte du réfrigérateur qui s'ouvre dans ce bruit de plastique collant nous tiennent compagnie. Il nous laisse à nous autres marcheurs, le soin de l'animation. Personne ne se connaît, alors ce silence pesant où personne n'ose respirer plus fort que son voisin nous étreint. J'ai pas envie que ce soit triste, j'ai pas envie de banalités, j'ai pas envie de silence, pas envie des détails de la vie de Josette - 68 ans à résumer en une soirée, j'ai peur! Timidement, je me lance en taquinant le couple sur leur organisation en mode "sac de congélation".

Entre une haie de noisetiers et un muret en pierres, le chemin étroit se creuse dans la terre. Les hautes herbes élégamment courbées sous le poids de la rosée brillent à travers les rais de soleil du petit matin. Je marche sur cette terre endurcie et cueille au passage quelques perles éphémères. Des herbes sont déjà rabattues, d'autres pas avant moi ont déjà cueillie les larmes de la nuit. Bientôt la chaleur effacera ce chemin de rosée et demain d'autres pas viendront à leur tour le butiner, éternel recommencement. Arrivée en haut du plateau, des centaines de dômes, plus ou moins hauts, plus ou moins réguliers mais invariablement recouverts d'arbres, s'étirent à perte de vue à travers la brume. Ces vestiges volcaniques, Stevenson les a vus et ils nous survivront à tous, qui balayons aujourd'hui la rosée du chemin. Il y a quelque chose d'intense entre l'éphémère de la rosée et l'éternité des ces dômes, tous particuliers. Je suis heureuse de laisser ma trace parmi celle des voyageurs, pour que ce creux ne s'enherbe pas et reste vivant à travers les âges. Je souris, sûre que cette trace me survivra plus certainement que ce que j'aurai pu transmettre à mes enfants. A leur mort, les souvenirs que je leur aurais laissé mourront également. Alors que ces pas-là, posés parmi d'autres pas, auront fait vivre la trace en marquant le cheminement. Moi qui était partie, déterminée, mais sans raison particulière, je viens d'en trouver une bonne raison à ce voyage : faire partie du chemin, laisser ma trace, petite ouvrière insignifiante. Je ne me l'explique pas, mais mon coeur est léger. Personne devant, le paysage m'appartient. Les milans noirs s'appellent au-dessus de ma tête, les tracteurs s'affairent aux champs, les arbres frémissent sous la caresse de la brise. Pleine d'entrain, j'avance. Rien d'autre que le présent m'accueille et c'est une paix intérieure qui vaut de l'or. J'ai mon Graal, il ne m'en faut pas plus, pas moins. Mes pas suspendus à la voie, là qui s'étend à l'infini. J'avance et pour la première fois, je ne ressasse pas, j'oublie ce que j'ai laissé derrière la porte avant de partir. Je profite simplement de ce ciel, de la trace, de la solitude : se suffire à soi-même, ne rien attendre des autres, ne rien devoir à personne, être libre, simplement.
alizee-deziles Il y a 9 ans

Entre une haie de noisetiers et un muret en pierres, le chemin étroit se creuse dans la terre. Les hautes herbes élégamment courbées sous le poids de la rosée brillent à travers les rais de soleil du petit matin. Je marche sur cette terre endurcie et cueille au passage quelques perles éphémères. Des herbes sont déjà rabattues, d'autres pas avant moi ont déjà cueillie les larmes de la nuit. Bientôt la chaleur effacera ce chemin de rosée et demain d'autres pas viendront à leur tour le butiner, éternel recommencement.
Arrivée en haut du plateau, des centaines de dômes, plus ou moins hauts, plus ou moins réguliers mais invariablement recouverts d'arbres, s'étirent à perte de vue à travers la brume. Ces vestiges volcaniques, Stevenson les a vus et ils nous survivront à tous, qui balayons aujourd'hui la rosée du chemin.
Il y a quelque chose d'intense entre l'éphémère de la rosée et l'éternité des ces dômes, tous particuliers. Je suis heureuse de laisser ma trace parmi celle des voyageurs, pour que ce creux ne s'enherbe pas et reste vivant à travers les âges. Je souris, sûre que cette trace me survivra plus certainement que ce que j'aurai pu transmettre à mes enfants. A leur mort, les souvenirs que je leur aurais laissé mourront également. Alors que ces pas-là, posés parmi d'autres pas, auront fait vivre la trace en marquant le cheminement. Moi qui était partie, déterminée, mais sans raison particulière, je viens d'en trouver une bonne raison à ce voyage : faire partie du chemin, laisser ma trace, petite ouvrière insignifiante. Je ne me l'explique pas, mais mon coeur est léger.

Personne devant, le paysage m'appartient. Les milans noirs s'appellent au-dessus de ma tête, les tracteurs s'affairent aux champs, les arbres frémissent sous la caresse de la brise. Pleine d'entrain, j'avance. Rien d'autre que le présent m'accueille et c'est une paix intérieure qui vaut de l'or. J'ai mon Graal, il ne m'en faut pas plus, pas moins. Mes pas suspendus à la voie, là qui s'étend à l'infini. J'avance et pour la première fois, je ne ressasse pas, j'oublie ce que j'ai laissé derrière la porte avant de partir. Je profite simplement de ce ciel, de la trace, de la solitude : se suffire à soi-même, ne rien attendre des autres, ne rien devoir à personne, être libre, simplement.

C'est pile dans ce moment de sérénité absolu qu'il me rejoint. Non, pas Bruno. Lui il m'aurait appelé au loin, que je l'attende, histoire de cheminer ensemble, bavarder de tout et de rien. Tuer le temps. Mais moi je ne veux pas ça. Je veux le savourer ce temps qui glisse entre mes doigts comme une onde fraîche, je veux me fondre dans ce paysage, m'abandonner à ce ciel et ces horizons infinis, me sentir légère et débarrassée de tout. Je n'ai pas envie de nuages de fumée pour m'y cacher, juste accepter pleinement chaque instant, m'en enrichir pour ne jamais oublier qu'il y a toujours d'autres voies qui existent. Bruno, il court après ce que je fuis. Non, celui qui marche sur mes talons, c'est un autre. Blond aussi, les cheveux en pétard. Il marche sans effort porté par sa jeunesse, absorbé par ses réflexions. On se salue, marchant côte à côte dans cette montée. Difficile pour lui de me fausser compagnie : nous marchons pratiquement du même pas. Alors je m'arrête boire, histoire de le laisser s'envoler. Je veux retrouver mon état, celui d'où il m'a tiré. J'étais si bien, lovée dans cette vacuité. Vite, je me concentre mais rapidement c'est l'entrée du village. Dans l'épicerie déserte, j'y retrouve le marcheur et nous nous retrouvons à arrimer nos sacs en même temps sur la terrasse ensoleillée. Lui, il porte un duvet et un mini-sac compacté pour la toile de tente. Ca sent le sac d'expert, de celui qui n'en est pas à sa première itinérance. Moi, mon sac est énorme. Rempli d'essentiel. Ou de superflu, du superflu choisi, dont je crois avoir besoin, mais qui n'appartient à aucune liste de randonneur. Tant pis, mon sac est mon ami, il contient ma vie. Prêts en même temps, nous cherchons du regard les marques du GR, et quand nos pas s'emboîtent une fois encore dans le même chemin, nous échangeons un sourire. Difficile de s'ignorer alors que nous marchons du même pas, dans la même direction. Il faut se résigner, une conversation s'impose. - J'imagine que tu fais le Stevenson? C'est ma voix que j'entends briser ce silence. - Oui, toi aussi sans doute. - Effectivement. Tu arrives où ce soir? - Je sais pas exactement, j'ai ma tente. Mais je vais essayer d'aller jusqu'à Pradelles ou Langogne. - C'est énorme! En fait, c'est ma destination pour le lendemain, plus de 40 kilomètres pour lui dans la journée. Je comprends pourquoi il marche d'un si bon train! -Tu es un sacré marcheur. Il sourit, parce que ça fait toujours plaisir d'avoir un compliment, même d'une parfaite inconnue. Je ne sais même pas qui il est, peut-être est-il athlète de haut niveau ou que sais je encore, qui puisse faire passer une telle marche pour une promenade de santé. Et que la naïveté de cette remarque le fait sourire, tout simplement. Je ne sais pas et je ne veux pas savoir. Ainsi je ne lui demande pas son nom, ni son âge, ni où il habite, ni son métier. Non, je lui demande de me parler de ses autres marches, parce que je sens qu'il n'en est pas à son coup d'essai. C'est vrai, il me parle de son GR20, l'été dernier. La traversée de la Corse, avec ses ascensions parfois épiques, l'immensité des montagnes plongeant dans la mer, l'aridité du parcours avec cette chaleur écrasante du mois de juillet. Je bois ses paroles à portée de mon imaginaire et avec des mots simples et dénués d'exploit, je me plonge dans son récit de grands espaces. Encore, j'en veux encore! Les kilomètres défilent et il me raconte le GR10 et sa traversée des Pyrénées de Hendaye à Banuyls, avec la même humilité et le plaisir partagé du goût de l'évasion. On en oublierait le présent. C'est le chemin qui se rappelle à nous : une grande descente encombrée de gros blocs et de racines affleurantes, vers le Goudet. Je pense à l'aumônier belge rencontré à Langogne en même temps que Bruno. Il nous avait raconté sa chute à cet endroit et d'y prendre garde. Je lui souris, c'est grâce à lui que j'ai assisté à la bénédiction des pèlerins et je lui dois la surprenante mise en bouche de ce voyage. Mais emportée par l'ivresse des épopées au long cours de mon compagnon de marche et surtout par le poids du sac, me voilà dévalant la sente, rebondissant à chaque saillie. La vitesse prise est à peine maîtrisée et tous mes efforts se concentrent sur le prochain point d'impact. Ricocher, ne pas se laisser prendre dans une racine, glisser sur un caillou. Nous sautons comme deux cabris, sans courir, sans se retenir, là, nous voilà ancrés dans le présent, du profond de la pupille à la brûlure des poumons, de chaque orteil au bout des doigts. L'adrénaline s'invite et c'est un pur moment de bonheur inattendu jusqu'à rejoindre les rives de l'Holme. Essoufflés, nous traversons en silence le pont qui rejoint les ruines de la forteresse de Beaufort. - Tu marches plutôt bien aussi. C'est gentil, pour une fille de mon âge, oui. J'arrive encore bien à avancer, même avec une montagne sur le dos. Mais je n'ai pas sa liberté, ce soir mon gîte est réservé et même si l'envie m'en prenait, mon voyage est trop planifié pour sortir des sentiers battus. Je regrette mon manque d'expérience, ma trop grande organisation, avec toutes ces réservations inamovibles qui fixent à la fois un objectif intransigeant, mais ferme la porte inexorablement à l'imprévu, à l'inattendu. Voilà les limites de mon voyage, pas assez d'inconnu, trop de contraintes une fois encore. Quand aurais-je l'audace du lâcher prise? Tout en parlant littérature, mon coeur balance entre le plaisir de cette compagnie et mon besoin viscéral de solitude. Je ne sais pas ce qu'il cherche lui dans ces marches qui peuvent durer plus de deux mois. Je ne sais pas moi-même ce que je suis venue chercher sur le Stevenson. Ce soir il sera loin, moi je m'approche de ma destination. Alors on se souhaite bonne route et nos chemins se séparent. C'est étrange comme chacun de nos choix, chacune de nos décisions, chacun de nos mots semblent emplis de sens loin du ronron quotidien. L'émotion est palpable et je ne sais pas pourquoi encore mais ce moment est un diamant. A l'ombre d'un hêtre je me pose et le regarde filer vers Montagnac, sans autre regret que de devoir dormir sous un toit ce soir. J'ai envie de voûte étoilée et d'un sms de Ludo.
alizee-deziles Il y a 9 ans

C'est pile dans ce moment de sérénité absolu qu'il me rejoint.
Non, pas Bruno. Lui il m'aurait appelé au loin, que je l'attende, histoire de cheminer ensemble, bavarder de tout et de rien. Tuer le temps. Mais moi je ne veux pas ça. Je veux le savourer ce temps qui glisse entre mes doigts comme une onde fraîche, je veux me fondre dans ce paysage, m'abandonner à ce ciel et ces horizons infinis, me sentir légère et débarrassée de tout. Je n'ai pas envie de nuages de fumée pour m'y cacher, juste accepter pleinement chaque instant, m'en enrichir pour ne jamais oublier qu'il y a toujours d'autres voies qui existent. Bruno, il court après ce que je fuis.
Non, celui qui marche sur mes talons, c'est un autre. Blond aussi, les cheveux en pétard. Il marche sans effort porté par sa jeunesse, absorbé par ses réflexions. On se salue, marchant côte à côte dans cette montée. Difficile pour lui de me fausser compagnie : nous marchons pratiquement du même pas. Alors je m'arrête boire, histoire de le laisser s'envoler. Je veux retrouver mon état, celui d'où il m'a tiré. J'étais si bien, lovée dans cette vacuité. Vite, je me concentre mais rapidement c'est l'entrée du village.

Dans l'épicerie déserte, j'y retrouve le marcheur et nous nous retrouvons à arrimer nos sacs en même temps sur la terrasse ensoleillée. Lui, il porte un duvet et un mini-sac compacté pour la toile de tente. Ca sent le sac d'expert, de celui qui n'en est pas à sa première itinérance. Moi, mon sac est énorme. Rempli d'essentiel. Ou de superflu, du superflu choisi, dont je crois avoir besoin, mais qui n'appartient à aucune liste de randonneur. Tant pis, mon sac est mon ami, il contient ma vie.
Prêts en même temps, nous cherchons du regard les marques du GR, et quand nos pas s'emboîtent une fois encore dans le même chemin, nous échangeons un sourire. Difficile de s'ignorer alors que nous marchons du même pas, dans la même direction. Il faut se résigner, une conversation s'impose.
- J'imagine que tu fais le Stevenson? C'est ma voix que j'entends briser ce silence.
- Oui, toi aussi sans doute.
- Effectivement. Tu arrives où ce soir?
- Je sais pas exactement, j'ai ma tente. Mais je vais essayer d'aller jusqu'à Pradelles ou Langogne.
- C'est énorme! En fait, c'est ma destination pour le lendemain, plus de 40 kilomètres pour lui dans la journée. Je comprends pourquoi il marche d'un si bon train!
-Tu es un sacré marcheur. Il sourit, parce que ça fait toujours plaisir d'avoir un compliment, même d'une parfaite inconnue. Je ne sais même pas qui il est, peut-être est-il athlète de haut niveau ou que sais je encore, qui puisse faire passer une telle marche pour une promenade de santé. Et que la naïveté de cette remarque le fait sourire, tout simplement. Je ne sais pas et je ne veux pas savoir. Ainsi je ne lui demande pas son nom, ni son âge, ni où il habite, ni son métier. Non, je lui demande de me parler de ses autres marches, parce que je sens qu'il n'en est pas à son coup d'essai. C'est vrai, il me parle de son GR20, l'été dernier. La traversée de la Corse, avec ses ascensions parfois épiques, l'immensité des montagnes plongeant dans la mer, l'aridité du parcours avec cette chaleur écrasante du mois de juillet. Je bois ses paroles à portée de mon imaginaire et avec des mots simples et dénués d'exploit, je me plonge dans son récit de grands espaces. Encore, j'en veux encore! Les kilomètres défilent et il me raconte le GR10 et sa traversée des Pyrénées de Hendaye à Banuyls, avec la même humilité et le plaisir partagé du goût de l'évasion. On en oublierait le présent.
C'est le chemin qui se rappelle à nous : une grande descente encombrée de gros blocs et de racines affleurantes, vers le Goudet. Je pense à l'aumônier belge rencontré à Langogne en même temps que Bruno. Il nous avait raconté sa chute à cet endroit et d'y prendre garde. Je lui souris, c'est grâce à lui que j'ai assisté à la bénédiction des pèlerins et je lui dois la surprenante mise en bouche de ce voyage.
Mais emportée par l'ivresse des épopées au long cours de mon compagnon de marche et surtout par le poids du sac, me voilà dévalant la sente, rebondissant à chaque saillie. La vitesse prise est à peine maîtrisée et tous mes efforts se concentrent sur le prochain point d'impact. Ricocher, ne pas se laisser prendre dans une racine, glisser sur un caillou. Nous sautons comme deux cabris, sans courir, sans se retenir, là, nous voilà ancrés dans le présent, du profond de la pupille à la brûlure des poumons, de chaque orteil au bout des doigts. L'adrénaline s'invite et c'est un pur moment de bonheur inattendu jusqu'à rejoindre les rives de l'Holme. Essoufflés, nous traversons en silence le pont qui rejoint les ruines de la forteresse de Beaufort.
- Tu marches plutôt bien aussi. C'est gentil, pour une fille de mon âge, oui. J'arrive encore bien à avancer, même avec une montagne sur le dos. Mais je n'ai pas sa liberté, ce soir mon gîte est réservé et même si l'envie m'en prenait, mon voyage est trop planifié pour sortir des sentiers battus. Je regrette mon manque d'expérience, ma trop grande organisation, avec toutes ces réservations inamovibles qui fixent à la fois un objectif intransigeant, mais ferme la porte inexorablement à l'imprévu, à l'inattendu. Voilà les limites de mon voyage, pas assez d'inconnu, trop de contraintes une fois encore. Quand aurais-je l'audace du lâcher prise?
Tout en parlant littérature, mon coeur balance entre le plaisir de cette compagnie et mon besoin viscéral de solitude. Je ne sais pas ce qu'il cherche lui dans ces marches qui peuvent durer plus de deux mois. Je ne sais pas moi-même ce que je suis venue chercher sur le Stevenson. Ce soir il sera loin, moi je m'approche de ma destination. Alors on se souhaite bonne route et nos chemins se séparent. C'est étrange comme chacun de nos choix, chacune de nos décisions, chacun de nos mots semblent emplis de sens loin du ronron quotidien. L'émotion est palpable et je ne sais pas pourquoi encore mais ce moment est un diamant.
A l'ombre d'un hêtre je me pose et le regarde filer vers Montagnac, sans autre regret que de devoir dormir sous un toit ce soir. J'ai envie de voûte étoilée et d'un sms de Ludo.

En travers du sentier adossée à un bosquet d'arbres rabougris, une masse souffrante gît à terre. Emportée par le poids de son sac, elle est échouée sur le dos et souffle à s'en décrocher un poumon. Il fait chaud, terriblement chaud. La nuit étoilée, ce n'est pas pour maintenant! La trace longe des cultures depuis un moment et les cailloux roulent sous les chaussures dans ces montées incessantes. C'est Josette! - Hé, ça va Josette? Je suis inquiète, elle est si rouge Josette, si haletante que je ne peux pas faire comme si tout irait bien. Elle ne me répond pas, à bout de souffle, se débattant pour trouver une posture plus confortable, moins subie. - Tu veux de l'eau? Elle me montre une gourde tombée à ses côtés. Je réfléchis avant de me pencher sur elle, parce que je ne sais pas si je réussirais moi aussi à repartir en m'arrêtant là. - Tu veux que je te la donne ? Elle se saisit de la bouteille et s'en asperge, le visage tourné vers ses pieds. - C'est dur, lâche-t-elle avant de plonger ses yeux rougis dans les miens. Ses joues sont recouvertes d'un mélange d'eau et de larmes qu'elle ne peut retenir. Elle craque, mais elle tient bon. Une immense vague d'émotion me submerge face à ce petit bout de femme frêle comme un roseau. Je lâche mon sac, m'étire avant de plonger dedans pour lui tendre une barre de céréales. - Chouette endroit pour faire une pause. Dis-je les fesses entre deux ronciers, le dos collé à des fils barbelés. Notre regard fait un tour sur la campagne vide de monde. Pas une seule route en dehors de notre passage. Devant nous s'étendent à perte de vue les champs de lentilles vertes qui forment un matelas épais où j'aimerai me pelotonner. Au loin les volcans s'effacent dans le ciel abasourdi de chaleur. C'est magnifique, oui. On sourit. Pas un bruit en dehors du bruissement des feuilles de lentilles dans les infimes souffles de vent. - J'ai vu Catherine et Claude tout à l'heure. Mine de rien, on se fait la conversation, entre deux bouchées de céréales, pas si mauvaises que ça finalement. - Et un petit jeune? T'en n'as pas vu un en début d'après-midi? - Non, Ca fait un moment que je n'ai vu personne. - Dommage, il était pas mal. - A mon âge. - Il n'y a pas d'âge pour regarder une petite paire de fesses en plein effort! Elle sourit, mais sa respiration reste toujours aussi saccadée. - Ca va aller? - Oui, ne t'inquiète pas. Je n'abandonnerai pas. - Je sais. Josette, elle m'a raconté son histoire et sa vie tient aujourd'hui dans ce voyage-là. Je sais qu'elle ira au bout de ses forces pour accomplir la mission qu'elle s'est assignée. Et c'est cela qui me fait peur aussi. Elle n'a pas de limite. Et je me sentirai presque responsable si il devait lui arriver quelque chose, là maintenant. -Tu veux qu'on marche ensemble, lui proposè-je? - Non, vas-y, je sais que tu aimes marcher seule, pars devant on se retrouvera au gîte ce soir. J'hésite, on tergiverse mais pas trop. Elle a sa fierté et je ne sais plus trop si en partant je l'abandonne ou je la respecte. - Bon, tu as mon numéro, si tu as un problème, tu m'appelles. Nous regardons la carte ensemble, histoire de savoir indiquer notre position, au cas où. Et je repars non sans souffrir moi aussi. - Eh madame! Voilà une heure que je suis repartie et un enfant m'interpelle depuis la cours d'une maison en pierres, nichée au milieu d'un hameau de quatre maisons abandonnées. - Eh madame, t'es perdue, poursuit-il en venant à ma rencontre. - Ah bon? Comment tu sais ça toi? - Parce que vous vous trompez tous! Attends je vais appeler ma tata, et il s'enfuit derrière la maison en courant! Bon, voilà qu'on m'informe de mon infortune alors que je suis scrupuleusement les marquages et que dix mètres plus loin encore, je vois la prochaine marque qui m'invite à tourner à droite. - Bonjour madame. La tante gronde son neveu, qu'il ne faut pas déranger les marcheurs, mais me demande si je veux aller à Ussel. - Ah, mais je croyais être à Ussel ici. - Non, montrez-moi votre carte, je vais vous montrer où vous êtes. Effectivement, je suis perdue. Je les remercie aussi chaudement que si ma vie dépendait de leur intervention, puisque je suis à la limite de la carte. Je n'imagine même pas ma tête si je m'étais retrouvée dans des villages que je ne pouvais plus localiser! Je pars à la recherche de Josette, qui s'est égarée comme moi, pour la ramener sur le bon chemin. Elle qui est à bout de force, elle n'a pas besoin de ces kilomètres supplémentaires. C'est un vrai chemin de croix pour elle aujourd'hui. Et moi mes étoiles, c'est pour quand?
alizee-deziles Il y a 9 ans

En travers du sentier adossée à un bosquet d'arbres rabougris, une masse souffrante gît à terre. Emportée par le poids de son sac, elle est échouée sur le dos et souffle à s'en décrocher un poumon. Il fait chaud, terriblement chaud. La nuit étoilée, ce n'est pas pour maintenant! La trace longe des cultures depuis un moment et les cailloux roulent sous les chaussures dans ces montées incessantes. C'est Josette!
- Hé, ça va Josette?
Je suis inquiète, elle est si rouge Josette, si haletante que je ne peux pas faire comme si tout irait bien. Elle ne me répond pas, à bout de souffle, se débattant pour trouver une posture plus confortable, moins subie.
- Tu veux de l'eau? Elle me montre une gourde tombée à ses côtés. Je réfléchis avant de me pencher sur elle, parce que je ne sais pas si je réussirais moi aussi à repartir en m'arrêtant là.
- Tu veux que je te la donne ?
Elle se saisit de la bouteille et s'en asperge, le visage tourné vers ses pieds.
- C'est dur, lâche-t-elle avant de plonger ses yeux rougis dans les miens. Ses joues sont recouvertes d'un mélange d'eau et de larmes qu'elle ne peut retenir. Elle craque, mais elle tient bon. Une immense vague d'émotion me submerge face à ce petit bout de femme frêle comme un roseau. Je lâche mon sac, m'étire avant de plonger dedans pour lui tendre une barre de céréales.
- Chouette endroit pour faire une pause. Dis-je les fesses entre deux ronciers, le dos collé à des fils barbelés. Notre regard fait un tour sur la campagne vide de monde. Pas une seule route en dehors de notre passage. Devant nous s'étendent à perte de vue les champs de lentilles vertes qui forment un matelas épais où j'aimerai me pelotonner. Au loin les volcans s'effacent dans le ciel abasourdi de chaleur. C'est magnifique, oui. On sourit. Pas un bruit en dehors du bruissement des feuilles de lentilles dans les infimes souffles de vent.
- J'ai vu Catherine et Claude tout à l'heure.
Mine de rien, on se fait la conversation, entre deux bouchées de céréales, pas si mauvaises que ça finalement.
- Et un petit jeune? T'en n'as pas vu un en début d'après-midi?
- Non, Ca fait un moment que je n'ai vu personne.
- Dommage, il était pas mal.
- A mon âge.
- Il n'y a pas d'âge pour regarder une petite paire de fesses en plein effort!
Elle sourit, mais sa respiration reste toujours aussi saccadée.
- Ca va aller?
- Oui, ne t'inquiète pas. Je n'abandonnerai pas.
- Je sais.

Josette, elle m'a raconté son histoire et sa vie tient aujourd'hui dans ce voyage-là. Je sais qu'elle ira au bout de ses forces pour accomplir la mission qu'elle s'est assignée. Et c'est cela qui me fait peur aussi. Elle n'a pas de limite. Et je me sentirai presque responsable si il devait lui arriver quelque chose, là maintenant.

-Tu veux qu'on marche ensemble, lui proposè-je?
- Non, vas-y, je sais que tu aimes marcher seule, pars devant on se retrouvera au gîte ce soir.
J'hésite, on tergiverse mais pas trop. Elle a sa fierté et je ne sais plus trop si en partant je l'abandonne ou je la respecte.
- Bon, tu as mon numéro, si tu as un problème, tu m'appelles.
Nous regardons la carte ensemble, histoire de savoir indiquer notre position, au cas où. Et je repars non sans souffrir moi aussi.

- Eh madame!
Voilà une heure que je suis repartie et un enfant m'interpelle depuis la cours d'une maison en pierres, nichée au milieu d'un hameau de quatre maisons abandonnées.
- Eh madame, t'es perdue, poursuit-il en venant à ma rencontre.
- Ah bon? Comment tu sais ça toi?
- Parce que vous vous trompez tous! Attends je vais appeler ma tata, et il s'enfuit derrière la maison en courant!
Bon, voilà qu'on m'informe de mon infortune alors que je suis scrupuleusement les marquages et que dix mètres plus loin encore, je vois la prochaine marque qui m'invite à tourner à droite.
- Bonjour madame.
La tante gronde son neveu, qu'il ne faut pas déranger les marcheurs, mais me demande si je veux aller à Ussel.
- Ah, mais je croyais être à Ussel ici.
- Non, montrez-moi votre carte, je vais vous montrer où vous êtes.
Effectivement, je suis perdue. Je les remercie aussi chaudement que si ma vie dépendait de leur intervention, puisque je suis à la limite de la carte. Je n'imagine même pas ma tête si je m'étais retrouvée dans des villages que je ne pouvais plus localiser! Je pars à la recherche de Josette, qui s'est égarée comme moi, pour la ramener sur le bon chemin. Elle qui est à bout de force, elle n'a pas besoin de ces kilomètres supplémentaires. C'est un vrai chemin de croix pour elle aujourd'hui.

Et moi mes étoiles, c'est pour quand?

j'aime.
musashi Il y a 9 ans

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L'aventurière.
AnonymeIl y a 9 ans


L'aventurière.

- Nuit magique 21/06/2016 Solstice d’été à Montségur. Avec une pleine lune, pas courant... [URL=http://www.hostingpics.net/viewer.php?id=67188921062016SolsticedeMontse769gurNuitmagique92.jpg][IMG]http://img15.hostingpics.net/pics/67188921062016SolsticedeMontse769gurNuitmagique92.jpg[/IMG][/URL]
AnonymeIl y a 7 ans

- Nuit magique

21/06/2016 Solstice d’été à Montségur.
Avec une pleine lune, pas courant...