XIV.
BONJOUR.
Bonjour!... je n'ose t'éveiller; ô délicieux aspect! ton âme semble à demi envolée aux célestes régions, à demi restée sur la terre pour éclairer tes traits divins, comme le soleil à moitié dans le ciel, à moitié captif dans un nuage ! Bonjour!... tu soupires! un rayon brille dans tes yeux! Bonjour! la lumière blesse déjà ta paupière, les mouches folâtres importunent tes lèvres! Bonjour! le soleil est aux croisées, et moi je suis près de ta couche. Je t'apportais un bonjour plus doux; mais ton sommeil et tes charmes m'ont ravi le courage. Que j'apprenne auparavant si tu te lèves avec un cœur aussi tendre, une aussi fraîche santé. Bonjour! Tu défends ta main de mes baisers? Tu m'ordonnes de fuir? je m'éloigne; voici tes vêtements; habille-toi bien vite et viens me rejoindre : alors je te dirai bonjour...
XV.
BONSOIR.
Bonsoir !... Oh ! c'est pour moi le plus tendre souhait. Qu'une barrière infranchissable nous sépare avant la nuit, ou que le matin me rappelle auprès de toi, jamais je ne te quitte, je ne te rejoins avec un si doux transport, Que dans cet instant où, rassuré par les ombres du soir, je te vois seule, gardant volontiers le silence et prompte à rougir, répondre d'un œil plus animé et d'un soupir moins timide à mon salut accoutumé du bonsoir! Que le bonjour s'annonce pour ceux qui vivent en famille, et vienne éclairer le travail qui réunit leurs mains; qu'une bonne nuit entoure des amants bienheureux. Lorsqu'ils boivent à la coupe de la volupté l'oubli de leurs peines : mais pour ceux qui s'aiment et cachent leurs amours, que le bonsoir vienne voiler des yeux trop éloquents !
XVI.
BONNE NUIT.
Bonne nuit ! il est temps de nous séparer. Que l'ange du sommeil te couvre de ses ailes azurées ; bonne nuit ! que tes yeux se reposent de tant de pleurs, et que le calme rentre dans ton cœur oppressé. Bonne nuit ! que chaque moment de nos entretiens laisse vibrer dans ton âme une douce et magique harmonie ; qu'elle se prolonge dans ton oreille : et, quand ta pensée aura fui vers le monde des rêves, que mon image s'incline sur tes paupières endormies. Bonne nuit! tourne encore vers moi tes doux regards ; ta joue : — Bonne nuit! — Tu veux appeler tes femmes? ton sein à mes baisers!... Tu t'agrafes? bonne nuit! Bonne nuit encore! tu fuis et t'enfermes? Bonne nuit à travers la porte... hélas! inexorable, en te répétant bonne nuit, je te ferais veiller jusqu'au jour !
Adam Mickiewicz - Sonnets