Jean-Pierre Duprey (Chronique version courte)



(Seule peinture de Duprey sortie de l'ombre parmi une trentaine de toiles inconnue à ce jour)

« Forêt sacrilège »
Ce mot résonne étrangement aux oreilles.
Déjà l’imagerie mentale des ombre s’allume comme un fruit lumineux dans la forêt en proies aux chimères indélébiles
La forêt, la forêt, ce lieu énigmatique qui a longtemps hanté la littérature, la peinture, la sculpture,
Cet idéal du Romantisme,
Là où tremblote la robe de Merlin,
Où tournent les marmites de la vieille sorcière,
Où incantations et sortilèges se mélangent à la bouche des Ombres,
Où des esprits invisibles, des fantômes, des spectres, apparaissent, disparaissent,
Surgissent dans la pénombre des arbres,
Où résonnent des voix
Qui n’appartiennent à personne.
Dans les chevauchés nocturne qui n’arrêtent pas,
Pour fuir qui ? Pour fuir quoi ?
Dans ce lieu où l’angoisse est palpable
Comme un fruit trop mûr tombé d'un arbre,
Et qui se dessèche aux rayons de la lune,
O pâle et froid soleil de minuit.

C’est dans ce lieu étrange que Duprey plantera son drapeau,
Déjà les chiens et les loups apparaissent,
Il est minuit. Le ciel devient vert.

Ils avancent, sur leurs pattes de velours,
Au taquet, au taquet,
Leurs fronts est numéroté
I et II.
Leur voix résonne
Comme celle d’un humain.
Ils sont assis, et ils se parlent :

*****

Le Numéro 1 : Nous sommes au minuit vert, le 3 août de l’an zéro, et tout à l’heure lorsque le coq crachera par trois fois…

Le Numéro 2 : ...Le coq n’est plus, car l’araignée l’a remplacé. Elle chante mieux et plus fort avec toutes ses pattes qui sont ses trompes… Elle éternue pour de bon !...

Le Numéro 1 : Quand l’araignée aura craché trois fois, lorsqu’elle aura filé sa voix de toile grossie par ses béquilles de trompettes, le monde aura changé de sens et la terre de nom. Et déjà j’entends dire que l’avant-garde de l’armée des cadavres a mis le feu aux tombes et proclame l'avènement de la liberté par le cercueil.


Le Numéro 2 : Et les rôdeurs de la forêt verront leurs têtes voler au-dessus d’eux en projectiles qu’ils n’auront point lancés. Ils le verront, ceci est sûr, car leur cous bien rasés et flambant de leur sang seront des yeux larges ouverts… ma colère en est un témoin car je vois rouge.


Le Numéro 1 : Des corps pendus comme des cloches inutiles… Les arbres auront toujours des fruits.



Le Numéro 2 : Mais l’araignée-mille-doigts en aura long à filer et les linceuls seront rares.

Notre maître Estern, qui sait faire de deux pierres un seul coup, nous accorde la liberté d’être ses chiens. A son signal, nous aboieront d’une seule gueule commune dont manquent les crocs, et, c’est certain, la bataille sera gagnée !

*******


Mais le masque, le masque, le masque énigmatique,
Ce masque qui est bien plus qu’un masque dans l’oeuvre de Duprey,
Quand on le met, ce n’est pas que notre façade qui change,
C’est aussi toutes les modulations et les substance de notre intérieur,
Le masque de loup transforme le caractère de l’homme en loup,
Le temps d’un instant il se confond en lui, il perd son identité originelle,
Il adopte son identité nouvelle.

Les masques, le double, l’ombre,
Voilà des éléments récurrents chez Duprey,
Aussi rien n’est fixé d’avance,
Ses décors, sont comme des univers surgit des ténèbres de son inconscient,
Comme des rêves éveillés aux pays étranges,
Où dans l’étang de ces contrées perdues,
S’abreuvent les chimères de ses visions.
Si l’on tenterait de mettre sur scène son « théâtre »
On serait très vite pris d’assaut,
Car on serait face à un défi jamais rencontré encore,
Et très difficile à mettre rationnellement et structurellement en place.
Mais peut-être, avec de l’imagination, de la création, des prises de risques,
Peut-être arriverions-nous à matérialiser tout de même ses pièces,
Mais pour ça, il ne faudra pas craindre l’échec,
Car avec ce genre de prise de risque l’échec est probable,
Mais déjà le fait de prendre le risque est une victoire en elle même.

Décor se modulant continuellement,
Comme l’espace des rêves,
Figures en perpétuelles métamorphoses,
Jamais fixés, jamais définitives,
Des apparitions, des disparitions,
Des changement de formes, etc

Jean-Pierre Duprey n’était pas seulement poète,
Ou bien s’il l’était, il le fut dans le plus pur et dans le plus grand sens du terme
Celui qui renoue avec le terme originel de poésie
« Poeisis » chez les grecs, qui signifie Création.
Duprey est un créateur sur tous les plans,
De la ville orientale de carton, dans le style des Milles et une Nuit, de grandeur 1 mètre sur 1 mètre
Qu’il fabriqua lorsqu’il avait 8 ans,
Jusqu’à ces nombreuses peintures et ses nombreuses sculptures de plâtre, de fer et de métal,
Toujours ces créations étaient comme la continuité même de la Poésie,
Dans ce qu'elle a de plus grand.
Très jeune déjà il s’abreuvait des lectures incantatoires de Daumal, de Gilbert-Lecomte, d’Antonin Artaud, d’Alfred Jarry (celui des Minutes de Sable mémorial),
De Charles Baudelaire, et d’Arthur Rimbaud bien évidemment,
Ce demi-frère, ce compagnon d'angoisse à qui il dédia un magnifique poème, écrit vers l’âge de 16 ans :

Défense de la Mort

Pour ma mort inédite j'arracherai une page anémique de mon carnet de lépreux, cette page était vraiment faite pour le rouge, mais le sort ne le voulut pas ainsi.

A cause de toi mon cher pendu, mon demi-frère, mon compagnon d'angoisse, j'ai renié le déjà vu, le déjà fait, le déjà connu.

As-tu su au moins d'où venaient ces filigranes de plaisir, ces dorures de fil blanc, ces papiers d'argent dont on parle tant ? - tu es mort sans le savoir, tu as bien fait, la misère est grande ici-bas aux hommes de cœur.

Ah mon cher compagnon de demain, tu as enfin acquis la seconde vue, tes yeux sont devenus le palais de l'ombre, elle salive sur tes joues, sur ton rictus, sur tes dents qu'encombre la langue acajou, puis elle descend le long des entrecôtes peintes à la sanguine te liquéfie et purge ton nombril.

Ce soir, tu secoueras tes cuisses d'oiseau déplumé




*****

Les poèmes de Duprey sont tous plus magnifiques les uns que les autres,
Et il faudrait vraiment beaucoup de temps pour en parler.
D’ailleurs ils ont un caractère indicible, inénarrable,
Il serait très difficile de les résumer en quelques mots,
Sinon qu’ils surgissent des tréfonds de son inconscient,
De son imaginaire, de ses traumatismes (bombardement de sa ville quand il avait 14 ans),
De sa quête de l’absolu, de se créativité infinie.

Voici un extrait d’un poème « intitulé » Lune de sel, poème de 3 à 4 pages dans son intégralité.

Lune de sel

[...]

Il y’avait des hommes couchés comme des draps et des fleurs durcies. Il y’avait aussi des choses sans consistances, des odeurs qui rendaient vieux. La lune avait l’haleine rouillée de ce qui couve sous la cendre.

Il y’avait :

Un diament plus bleu que des yeux...c’est l’étoile que l’on boit, le vent qu’il faut briser pour respirer.

Une rose cueillie aux abords de la mort; son pétale réfléchit le sang.

Des caresses qui coupent…

Nous en étions alors à la saison de toutes les grandes saisons annelées dans une seule chaîne qui ne finissait plus de se forger. Et le temps coupait court sur le velours des ombres… sur le velours des ombres…

“Cela me fait penser aux ongles qui s’allongent, qui s’allongent, pour remplir la pierre”, disant une voix.


Une chambre rêvait d’or noir, le miroir des nuits et des nuits l’étirait sans cesse.

Les miroirs, eaux massives, épuisaient tous les bruits

Qu’un cri éclate, et l’air aura la consistance brouillée des grandes profondeurs !


*****


I
Première nuit

Enfin, j’ai retrouvé mon élément !
C’est l’heure où le crépuscule des marécages s’arrache à son
sommeil et dételle sa barque de la berge. Un lapin fabuleux jaillit
d’on ne sait où, fumant des tiges de roses. Nous lui demandons un
peu de son tabac. Quand au reste, nous le laissons aux petits oiseaux.

II
Deuxième nuit

Ai-je dormi depuis le déluge ? suis-je bien intact ? bien correct ?
J’ai désappris le langage du monde mais j’aime tant celui des fleurs.
Je pars, camarade, adieu à tous, les convulsions folles m’ont pris
ce matin et, sans desserrer les lèvres, la pluie m’a traîné par son licol !

III
Troisième nuit

Ah misère ! cette vie est si profonde qu’on ne distingue rien. Mais
non, je ne lâcherai pas, la voir est un trop beau film ! Que voulez-vous,
j’aime çà ! Qu’on dise après que je ne suis pas romantique.
******


Il serait très long encore de parler de Duprey,
Et sûrement publierai-je la version longue de la chronique dans la partie que j’ai prévue à cet effet.
Que vous dire d’autres encore si ce n’est d’acheter son oeuvre,
Sauvegardée et publiée intégralement dans 1 volume en 1998 dans la très belle collection Poésie / Gallimard.

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Poesie-Gallimard/Derriere-son-double



J'espère qu'il aura collaboré avec un orchestre pour une partie de l'album, comme avec Messina.
Mais quand j'écoute le titre "humanité" avec l'orchestration finale, j'ai bon espoir que ce soit le cas.

La guerre au Luxembourg

Une deux une deux
Et tout ira bien...
Ils chantaient
Un blessé battait la mesure avec sa béquille
Sous le bandeau son œil
Le sourire du
Luxembourg
Et les fumées des usines de munitions
Au-dessus des frondaisons d'or
Pâle automne fin d'été
On ne peut rien oublier
Il n'y a que les petits enfants qui jouent à la guerre
La Somme
Verdun
Mon grand frère est aux Dardanelles
Comme c'est beau
Un fusil
MOI!
Cris voix flûtées
Cris
MOI!
Les mains se tendent
Je ressemble à papa
On a aussi des canons
Une fillette fait le cycliste
MOI!
Un dada caracole
Dans le bassin les flottilles s'entre-croisent
Le méridien de
Paris est dans le jet d'eau
On part à l'assaut du garde qui seul a un sabre authentique
Et on le tue à force de rire
Sur les palmiers encaissés le soleil pend
Médaille
Militaire
On applaudit le dirigeable qui passe du côté de la Tour Eiffel
Puis on relève les morts
Tout le monde veut en être
Ou tout au moins blessé
ROUGE
Coupe coupe
Coupe le bras coupe la tête
BLANC
On donne tout
Croix-Rouge
BLEU
Les infirmières ont 6 ans
Leur cœur est plein d'émotion
On enlève les yeux aux poupées pour réparer les aveugles
J'y vois! j'y vois
Ceux qui faisaient les
Turcs sont maintenant brancardiers
Et ceux qui faisaient les morts ressuscitent pour assister à la merveilleuse opération
A présent on consulte les journaux illustrés
Les photographies
Les photographies
On se souvient de ce que l'on a vu au cinéma
Ça devient plus sérieux
On crie et l'on cogne mieux que
Guignol
Et au plus fort de la mêlée
Chaud chaudes
Tout le monde se sauve pour aller manger les gaufres
Elles sont prêtes.
Il est cinq heures.
Les grilles se ferment.
On rentre.
Il fait soir.
On attend le zeppelin qui ne vient pas
Las
Les yeux aux fusées des étoiles
Tandis que les bonnes vous tirent par la main
Et que les mamans trébuchent sur les grandes automobiles d'ombre
Le lendemain ou un autre jour
Il y a une tranchée dans le tas de sable
Il y a un petit bois dans le tas de sable
Des villes
Une maison
Tout le pays
La
Mer
Et peut-être bien la mer
L'artillerie improvisée tourne autour des barbelés imaginaires
Un cerf-volant rapide comme un avion de chasse
Les arbres se dégonflent et les feuilles tombent par-dessus bord et tournent en parachute
Les 3 veines du drapeau se gonflent à chaque coup de l'obusier du vent
Tu ne seras pas emportée petite arche de sable
Enfants prodiges, plus que les ingénieurs
On joue en riant au tank aux gaz-asphyxiants au sous-marin-devant-new-york-qui-ne-peut-pas-passer
Je suis
Australien, tu es nègre, il se lave pour faire la-vie-des-soldats-anglais-en-belgique
Casquette russe
Légion d'honneur en chocolat vaut 3 boutons d'uniforme
Voilà le général qui passe
Une petite fille dit :
J'aime beaucoup ma nouvelle maman américaine
Et un petit garçon : — Non pas Jules Verne mais achète-moi encore le beau communiqué du dimanche
A
PARIS
Le jour de la
Victoire quand les soldats reviendront..
Tout le monde voudra
LES voir
Le soleil ouvrira de bonne heure comme un marchand
de nougat un jour de fête
Il fera printemps au
Bois de
Boulogne ou du côté de
Meudon
Toutes les automobiles seront parfumées et les pauvres chevaux mangeront des fleurs
Aux fenêtres les petites orphelines de la guerre auront toutes une belle robe patriotique
Sur les marronniers des boulevards les photographes à califourchon braqueront leur œil à déclic
On fera cercle autour de l'opérateur du cinéma qui mieux qu'un mangeur de serpents engloutira le cortège historique
Dans l'après-midi
Les blessés accrocheront leurs
Médailles à l'Arc-de-Triomphe et rentreront à la maison sans boiter
Puis
Le soir
La place de l'Étoile montera au ciel
Le
Dôme des
Invalides chantera sur
Paris comme une immense cloche d'or

***

Au centre du monde

Ce ciel de Paris est plus pur qu'un ciel d'hiver lucide de froid

Jamais je ne vis de nuits plus sidérales et plus touffues que ce printemps

Où les arbres des boulevards sont comme les ombres du ciel,

Frondaisons dans les rivières mêlées aux oreilles d'éléphant,

Feuilles de platanes, lourds marronniers.

Un nénuphar sur la
Seine, c'est la lune au fond de l'eau
La
Voie
Lactée dans le ciel se pâme sur
Paris et l'étreint
Folle et nue et renversée, sa bouche suce
Notre-Dame.
La
Grande
Ourse et la
Petite
Ourse grognent autour de
Saint-Merry.
Ma main coupée brille au ciel dans la constellation d'Orion.

Dans cette lumière froide et crue, tremblotante, plus qu'irréelle,
Paris est comme l'image refroidie d'une plante
Qui réapparaît dans sa cendre.
Triste simulacre.

Tirées au cordeau et sans âge, les maisons et les rues ne sont
Que pierre et fer en tas dans un désert invraisemblable.
Babylone et la Thébaïde ne sont pas plus mortes, cette nuit, que la ville morte de Paris
Bleue et verte, encre et goudron, ses arêtes blanchies aux étoiles.

Pas un bruit.
Pas un passant.
C'est le lourd silence de guerre.
Mon oeil va des pissotières à l'œil violet des réverbères.
C'est le seul espace éclairé où traîner mon inquiétude.
C'est ainsi que tous les soirs je traverse tout Paris à pied
Des Batignolles au Quartier Latin comme je traverserai les
Andes
Sous les feux de nouvelles étoiles, plus grandes et plus consternantes,
La Croix du Sud plus prodigieuse à chaque pas que l'on fait vers elle émergeant de l'ancien monde
Sur son nouveau continent.

Je suis l'homme qui n'a plus de passé. — Seul mon moignon me fait mal. —
J'ai loué une chambre d'hôtel pour être bien seul avec moi-même.
J'ai un panier d'osier tout neuf qui s'emplit de mes manuscrits.
Je n'ai ni livres ni tableau, aucun bibelot esthétique.

Un journal traîne sur ma table.

Je travaille dans ma chambre nue, derrière une glace dépolie,
Pieds nus sur du carrelage rouge, et jouant avec des ballons et une petite trompette d'enfant :
Je travaille à la fin du monde.

Blaise Cendrars


J'aime beaucoup Cendrars, ça poésie est toujours en perpétuelle mouvement, en rythme découpé, comme une sorte d'élan, de fleuves parfois sombres parfois lumineux.

Un poète indémodable.

******************
Quelques textes et quelques poèmes de Rodanski :

« Je me vois dans cette constellation, inscrite comme dans des graffiti sur un mur nu, dans une chambre froide ?

Ensuite je me vois emporter cette image dans la dissolution complète. Les eaux.
Ce doit être toi qui entres, masqué. Du caveau s’exhale la Voie lactée. La pierre tombale est une lune solitaire dans l’espace, une étoile qui se brûle dans la glace. L’adoration perpétuelle... »

[...]

« L’eau des vitres est un bain de lune, depuis mon premier sommeil, au berceau de ma vie une réfrigération s’est mise en route en grande pompe. L’éclair se coagule dans le verre. Il fait clair. La fleur est une éclaboussure. Il est une clarté diffuse. En mémoire de moi il y a cette corbeille de fleurs anesthésiées, ce sommeil le long des couloirs aux motifs factices. Des chemins se déroulent comme des bandes de gaze, les marches des escaliers sont des coussins de plume et l’on se laisse aller. »

Statues claires

“Statues claires d’un pays chanté dans le temps
Hommes et femmes présents dans votre chair lumineuse
Présents avec votre grande mer ou bien le soleil
Vous êtes tous dans le regard heureux de vivre
Le rêve qui l’anime - marbre ou créatures
Du temps des pommes du sel et de la lyre
Maintenant le sel érige d’étranges statues vertes
Dans un verger envahi où coulent les prairies gelées
Pommes blettes et lyre brisée !
C’est alentour la débâcle des saisons
La pluie sur les morts la pluie sur les ruines
La pluie sur la mer pour d’autres prestiges
Que la vague au flanc du temple et les jeux révolus
Une femme passe qui ne calme pas les flots
La lyre noire du bois d’enfer exalte
Le farouche troupeau des cadavres
Mélopée lancinante qui résonne aux halliers de la nuit
Où s’égarent des chasseurs éperdus
Le sang du soleil s’écoule sans lumière
Nous marchons parmi le désastre des cités
Univers chaotique de mon rêve
Flamme morte au biseau du temps
Et son fantôme errant dans l’orbite vide d’un théâtre !
Je passe avec le vent qui s’offre aux plaines
Envergure mystérieuse par monts et par vaux
Je suis frère de celui qui court[…]”

- Stanislas Rodanski

D'ailleurs Damien, tu es né le jour de la fête nationale suisse.


LE BAZAR

C’est un bazar, au bout des faubourgs rouges :
Étalages bondés, éventaires ventrus.
Tumulte et cris brandis, gestes bourrus et crus,
Et lettres d’or, qui soudain bougent,
En torsades, sur la façade.

Chaque matin, on vend, en ce bazar,
Parmi les épices, les fards
Et les drogues omnipotentes,
À bon marché, pour quelques sous,
Les diamants dissous
De la rosée immense et éclatante.

Le soir, à prix numéroté,
Avec le désir noir de trafiquer de la pureté,
On y brocante le soleil
Que toutes les vagues de la mer claire
Lavent, entre leurs doigts vermeils,
Aux horizons auréolaires.

C’est un bazar, avec des murs géants
Et des balcons et des sous-sols béants
Et des tympans montés sur des corniches
Et des drapeaux et des affiches,
Où deux clowns noirs plument un ange.

À travers boue, à travers fange,
Roulent, la nuit vers le bazar,
Les chars, les camions et les fardiers,
Qui s’en reviennent des usines
Voisines,
Des cimetières et des charniers,
Avec un tel poids noir de cargaisons,
Que le sol bouge et les maisons.

On met au clair à certains jours,
En de vaines et frivoles boutiques,
Ce que l’humanité des temps antiques
Croyait divinement être l’amour ;
Aussi les Dieux et leur beauté
Et l’effrayant aspect de leur éternité
Et leurs yeux d’or et leurs mythes et leurs emblèmes
Et des livres qui les blasphèment.

Toutes ardeurs, tous souvenirs, toutes prières
Sont là, sur des étals, et s’empoussièrent.
Des mots qui renfermaient l’âme du monde
Et que les prêtres seuls disaient au nom de tous,
Sont charriés et ballottés, dans la faconde
Des camelots et des voyous.
L’immensité se serre en des armoires
Dérisoires et rayonne de plaies
Et le sens même de la gloire
Se définit par des monnaies.

Lettres jusques au ciel, lettres en or qui bouge,

C’est un bazar au bout des faubourgs rouges !
La foule et ses flots noirs
S’y bouscule près des comptoirs ;
La foule et ses désirs multipliés,
Par centaines et par milliers,
Y tourne, y monte, au long des escaliers,
Et s’érige folle et sauvage,
En spirale, vers les étages.

Là haut, c’est la pensée
Immortelle, mais convulsée,
Avec ses triomphes et ses surprises,
Qu’à la hâte on expertise.
Tous ceux dont le cerveau
S’enflamme aux feux des problèmes nouveaux,
Tous les chercheurs qui se fixent pour cible
Le front d’airain de l’impossible
Et le cassent, pour que les découvertes
S’en échappent, ailes ouvertes,
Sont là gauches, fiévreux, distraits,
Dupes des gens qui les renient
Mais utilisent leur génie,

Et font argent de leurs secrets.

Oh ! les Edens, là-bas, au bout du monde,
Avec des arbres purs à leurs sommets,
Que ces voyants des lois profondes
Ont exploré pour à jamais,
Sans se douter qu’ils sont les Dieux.
Oh ! leur ardeur à recréer la vie,
Selon la foi qu’ils ont en eux
Et la douceur et la bonté de leurs grands yeux,
Quand, revenus de l’inconnu
Vers les hommes, d’où ils s’érigent,
On leur vole ce qui leur reste aux mains
De vérité conquise et de destin.

C’est un bazar tout en vertiges
Que bat, continûment, la foule, avec ses houles
Et ses vagues d’argent et d’or ;
C’est un bazar tout en décors,
Avec des tours de feux et des lumières,
Si large et haut que, dans la nuit,
Il apparaît la bête éclatante de bruit
Qui monte épouvanter le silence stellaire.

- Emile Verhaeren, les Viles tentaculaires.

Les Espaces du sommeil

Dans la nuit il y a naturellement les sept merveilles
du monde et la grandeur et le tragique et le charme.
Les forêts s’y heurtent confusément avec des créatures de légende
cachées dans les fourrés.
Il y a toi.
Dans la nuit il y a le pas du promeneur et celui de l’assassin
et celui du sergent de ville et la lumière du réverbère
et celle de la lanterne du chiffonnier.
Il y a toi.
Dans la nuit passent les trains et les bateaux et le mirage des pays
où il fait jour. Les derniers souffles du crépuscule
et les premiers frissons de l’aube.
Il y a toi.
Un air de piano, un éclat de voix.
Une porte claque. Un horloge.
Et pas seulement les êtres et les choses et les bruits matériels.
Mais encore moi qui me poursuis ou sans cesse me dépasse.
Il y a toi l’immolée, toi que j’attends.
Parfois d’étranges figures naissent à l’instant du sommeil et disparaissent.
Quand je ferme les yeux, des floraisons phosphorescentes apparaissent
et se fanent et renaissent comme des feux d’artifice charnus.
Des pays inconnus que je parcours en compagnie de créatures.
Il y a toi sans doute, ô belle et discrète espionne.
Et l’âme palpable de l’étendue.
Et les parfums du ciel et des étoiles et le chant du coq d’il y a 2 000 ans
et le cri du paon dans des parcs en flamme et des baisers.
Des mains qui se serrent sinistrement dans une lumière blafarde
et des essieux qui grincent sur des routes médusantes.
Il y a toi sans doute que je ne connais pas, que je connais au contraire.
Mais qui, présente dans mes rêves, t’obstines à s’y laisser deviner sans y paraître.
Toi qui restes insaisissable dans la réalité et dans le rêve.
Toi qui m’appartiens de par ma volonté de te posséder en illusion
mais qui n’approches ton visage du mien que mes yeux clos
aussi bien au rêve qu’à la réalité.
Toi qu’en dépit d’un rhétorique facile où le flot meurt sur les plages,
où la corneille vole dans des usines en ruines,
où le bois pourrit en craquant sous un soleil de plomb,
Toi qui es à la base de mes rêves et qui secoues mon esprit plein de métamorphoses
et qui me laisses ton gant quand je baise ta main.
Dans la nuit, il y a les étoiles et le mouvement ténébreux de la mer,
des fleuves, des forêts, des villes, des herbes,
des poumons de millions et millions d’êtres.
Dans la nuit il y a les merveilles du mondes.
Dans la nuit il n’y a pas d’anges gardiens mais il y a le sommeil.
Dans la nuit il y a toi.
Dans le jour aussi.

Robert Desnos


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J’ai vu

Enfant de la nuit, je veille. Mes yeux grands ouvert ont contemplé le sommeil.
L’orgue du Déluge a brûlé pour moi l’obscurité froide des mers.
J’ai vu briller la plus sombre des vagues sur des villes endeuillés, des campagnes alarmées.
J'ai vu naviguer les épaves du crépuscule, un fleuve à queue de cheval galoper librement
dans le désert métallique des rues blanches.
J’ai vu l’azur aux yeux de pierres dures semer la terreur dans la foulée attardé sur les boulevards.

J’ai vu des pays carrelés de brumes, où des soldats perdaient le chemin de leur pas,
où des exilés hantaient des bagnes murés de ruines.
J’ai vu l’ombre des hommes découper des parois de larmes sur le brouillard sans écho de leur vie.
J’ai vu certains m’aimer plus que leur femme, certains m’aimer moins que rien.
J’ai vu mon visage rayonner de sang noir au clou d’une croix périmée.
J'ai vu ma solitude où ne frémissait pas une feuille, ma main où ne coulait pas un fleuve.
J’ai vu ma mère sur la scène d’un théâtre de corridors - où mourrait une étoile,
où gémissait un roi aveugle, près de son enfant perdu.

J’ai vu - je dis voir et je vois.

Je suis couché dans la Nuit, sentinelle solitaire de l’aurore du monde.
L’Orient partage avec moi le désespoir de faire un signal précoce,
d’ensemencer de douleur et de révolte les champs de bataille.
J’ai posé sur les plages humides du Déluge l’étoile rousse de mon abjection,
Pour qu’enfin je reconnaisse en mon corps libre l’identité de mon éternelle passion.
Que je sois enfin fraternel et non plus seul.

Ô vous qui êtes mes ennemis parce que vous serez peut-être mes frères !
Nous sommes au déclin du mystère. L’arche de la pluie dérive sur le petit-lait d’un jour informulé.
Nos vitres rincées sont bleues et profondément pénétrées de splendeurs fluviales.
Le jour naît à la source des eaux, il coule de l’épaisseur opaque de notre nuit sans sillage.
Avec la dernière étoile pâle la Montgolfière prodigieuse s’échappe très vite du chevet des montagnes radieuses.
Le piano de la rosée égoutte ses arpèges dans les flaques du sommeil.

Mais sur la dalle rayonnante du Tibet, la feuille blanche d’un jour a glissé en silence.
Ô Toit du monde qui garde les calendes que je sais voir !
Orient Orient une femme se lèvera qui sera la nouvelle aurore des hommes.
L’aigle naissant dans l’écume pour couronner l’amour perpétuel.
Je suis couché dans l’asile d’une chambre d’ami, un homme dort à côté.
Souvent je passe dans ses rêves, toujours j’y reconnais mon souci.
Et pourtant nous communiquons péniblement,
nous sommes loin dans le noyau organique de notre vie, que d’autres n’abordent pas.

Je suis couché dans un chalet de montagne.
Les perspectives de mes mains s’allongent et pâlissent, entre leurs lignes s’écoule ma chevelure.
La moelle de mon échine est glacée car un torrent continue mon corps.
Les glaciers sont crispés à ma gorge, la neige de mon coeur fond et me dépasse
à l’horizon le plus obscur de ma veillée. La mer est loin, l’aube est proche de mon lit.

Je suis couché dans un navire aux draps fantômes,
portés par le Déluge il flotte sur les saisons les plus diverses
Des ondes s’élargissent sur l’encre où je trempe ma plume inspirée.
Des cités étranges se noient dans le flot noir qui nous entoure de son fluide sec et froid.

- Stanislas Rodanski

D'accord j'ai cru que y'avait une nouvelle chanson de Damien Saez appelée "Prénom" qui avait été posté,
La prochaine fois faudra que je lise moins vite et que je me fasse pas de faux espoir. La déception haha.

Pays arbitraire

La lumière a été inversée en mes yeux
Je pénètre dans l'univers inclus
En la virtualité des miroirs
Penché aux balcons du temps
J'écoute la chute lente du pollen glacide
Qui tombe des nébuleuses
Je marche dans la beauté stérile des paysages
Je foule les dalles de la vallée des tombeaux
Les rois sont endormis dans le cristal
Maîtres du monde silencieux où s'élaborent les formes
Les somnambules veillent sur le sanctuaire de l'île fermée
Où éclosent les fleurs troubles du sommeil
La rumeur lumineuse des jeunes étoiles me grise
J'ai oublié la pesanteur
Le moi tombe au fond de la mer
Et la nuit éternelle reprend sa vigile

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La Tribu de la Nuit


Je n’ai plus d’ombre
Je l’ai vendu à la nuit qui prend toute chose
En échange de son secret
La nuit qui n’est rien
Obscurité
Néant
Il n’y a plus de corps plus de contours plus de choses plus de
froid plus de chaleur
Mais les choses de l’esprit sont partout
Elles sont en moi et je les touche
Je suis la nuit je suis les choses
Chacune devenue infinie
Toutes occupant l’espace
Mes doigts de rêve jouent sur les touches de coton de l’orgue
des ténèbres
Je perçois la musique d’une lumière amortie
Qui se prolonge dans les vibrations des volontés tendues dans
l’espace
Je m’isole jusqu’à n’être plus qu’Un
Pour mieux comprendre l’Unité
Pour comprendre Tout
L’aimer de conscience pour tendre à l’existence universelle.


- Stanislas Rodanski

Jean-Pierre Duprey (Chronique version courte)



(Seule peinture de Duprey sortie de l'ombre parmi une trentaine de toiles inconnue à ce jour)

« Forêt sacrilège »
Ce mot résonne étrangement aux oreilles.
Déjà l’imagerie mentale des ombre s’allume comme un fruit lumineux dans la forêt en proies aux chimères indélébiles
La forêt, la forêt, ce lieu énigmatique qui a longtemps hanté la littérature, la peinture, la sculpture,
Cet idéal du Romantisme,
Là où tremblote la robe de Merlin,
Où tournent les marmites de la vieille sorcière,
Où incantations et sortilèges se mélangent à la bouche des Ombres,
Où des esprits invisibles, des fantômes, des spectres, apparaissent, disparaissent,
Surgissent dans la pénombre des arbres,
Où résonnent des voix
Qui n’appartiennent à personne.
Dans les chevauchés nocturne qui n’arrêtent pas,
Pour fuir qui ? Pour fuir quoi ?
Dans ce lieu où l’angoisse est palpable
Comme un fruit trop mûr tombé d'un arbre,
Et qui se dessèche aux rayons de la lune,
O pâle et froid soleil de minuit.

C’est dans ce lieu étrange que Duprey plantera son drapeau,
Déjà les chiens et les loups apparaissent,
Il est minuit. Le ciel devient vert.

Ils avancent, sur leurs pattes de velours,
Au taquet, au taquet,
Leurs fronts est numéroté
I et II.
Leur voix résonne
Comme celle d’un humain.
Ils sont assis, et ils se parlent :

*****

Le Numéro 1 : Nous sommes au minuit vert, le 3 août de l’an zéro, et tout à l’heure lorsque le coq crachera par trois fois…

Le Numéro 2 : ...Le coq n’est plus, car l’araignée l’a remplacé. Elle chante mieux et plus fort avec toutes ses pattes qui sont ses trompes… Elle éternue pour de bon !...

Le Numéro 1 : Quand l’araignée aura craché trois fois, lorsqu’elle aura filé sa voix de toile grossie par ses béquilles de trompettes, le monde aura changé de sens et la terre de nom. Et déjà j’entends dire que l’avant-garde de l’armée des cadavres a mis le feu aux tombes et proclame l'avènement de la liberté par le cercueil.


Le Numéro 2 : Et les rôdeurs de la forêt verront leurs têtes voler au-dessus d’eux en projectiles qu’ils n’auront point lancés. Ils le verront, ceci est sûr, car leur cous bien rasés et flambant de leur sang seront des yeux larges ouverts… ma colère en est un témoin car je vois rouge.


Le Numéro 1 : Des corps pendus comme des cloches inutiles… Les arbres auront toujours des fruits.



Le Numéro 2 : Mais l’araignée-mille-doigts en aura long à filer et les linceuls seront rares.

Notre maître Estern, qui sait faire de deux pierres un seul coup, nous accorde la liberté d’être ses chiens. A son signal, nous aboieront d’une seule gueule commune dont manquent les crocs, et, c’est certain, la bataille sera gagnée !

*******


Mais le masque, le masque, le masque énigmatique,
Ce masque qui est bien plus qu’un masque dans l’oeuvre de Duprey,
Quand on le met, ce n’est pas que notre façade qui change,
C’est aussi toutes les modulations et les substance de notre intérieur,
Le masque de loup transforme le caractère de l’homme en loup,
Le temps d’un instant il se confond en lui, il perd son identité originelle,
Il adopte son identité nouvelle.

Les masques, le double, l’ombre,
Voilà des éléments récurrents chez Duprey,
Aussi rien n’est fixé d’avance,
Ses décors, sont comme des univers surgit des ténèbres de son inconscient,
Comme des rêves éveillés aux pays étranges,
Où dans l’étang de ces contrées perdues,
S’abreuvent les chimères de ses visions.
Si l’on tenterait de mettre sur scène son « théâtre »
On serait très vite pris d’assaut,
Car on serait face à un défi jamais rencontré encore,
Et très difficile à mettre rationnellement et structurellement en place.
Mais peut-être, avec de l’imagination, de la création, des prises de risques,
Peut-être arriverions-nous à matérialiser tout de même ses pièces,
Mais pour ça, il ne faudra pas craindre l’échec,
Car avec ce genre de prise de risque l’échec est probable,
Mais déjà le fait de prendre le risque est une victoire en elle même.

Décor se modulant continuellement,
Comme l’espace des rêves,
Figures en perpétuelles métamorphoses,
Jamais fixés, jamais définitives,
Des apparitions, des disparitions,
Des changement de formes, etc

Jean-Pierre Duprey n’était pas seulement poète,
Ou bien s’il l’était, il le fut dans le plus pur et dans le plus grand sens du terme
Celui qui renoue avec le terme originel de poésie
« Poeisis » chez les grecs, qui signifie Création.
Duprey est un créateur sur tous les plans,
De la ville orientale de carton, dans le style des Milles et une Nuit, de grandeur 1 mètre sur 1 mètre
Qu’il fabriqua lorsqu’il avait 8 ans,
Jusqu’à ces nombreuses peintures et ses nombreuses sculptures de plâtre, de fer et de métal,
Toujours ces créations étaient comme la continuité même de la Poésie,
Dans ce qu'elle a de plus grand.
Très jeune déjà il s’abreuvait des lectures incantatoires de Daumal, de Gilbert-Lecomte, d’Antonin Artaud, d’Alfred Jarry (celui des Minutes de Sable mémorial),
De Charles Baudelaire, et d’Arthur Rimbaud bien évidemment,
Ce demi-frère, ce compagnon d'angoisse à qui il dédia un magnifique poème, écrit vers l’âge de 16 ans :

Défense de la Mort

Pour ma mort inédite j'arracherai une page anémique de mon carnet de lépreux, cette page était vraiment faite pour le rouge, mais le sort ne le voulut pas ainsi.

A cause de toi mon cher pendu, mon demi-frère, mon compagnon d'angoisse, j'ai renié le déjà vu, le déjà fait, le déjà connu.

As-tu su au moins d'où venaient ces filigranes de plaisir, ces dorures de fil blanc, ces papiers d'argent dont on parle tant ? - tu es mort sans le savoir, tu as bien fait, la misère est grande ici-bas aux hommes de cœur.

Ah mon cher compagnon de demain, tu as enfin acquis la seconde vue, tes yeux sont devenus le palais de l'ombre, elle salive sur tes joues, sur ton rictus, sur tes dents qu'encombre la langue acajou, puis elle descend le long des entrecôtes peintes à la sanguine te liquéfie et purge ton nombril.

Ce soir, tu secoueras tes cuisses d'oiseau déplumé




*****

Les poèmes de Duprey sont tous plus magnifiques les uns que les autres,
Et il faudrait vraiment beaucoup de temps pour en parler.
D’ailleurs ils ont un caractère indicible, inénarrable,
Il serait très difficile de les résumer en quelques mots,
Sinon qu’ils surgissent des tréfonds de son inconscient,
De son imaginaire, de ses traumatismes (bombardement de sa ville quand il avait 14 ans),
De sa quête de l’absolu, de se créativité infinie.

Voici un extrait d’un poème « intitulé » Lune de sel, poème de 3 à 4 pages dans son intégralité.

Lune de sel

[...]

Il y’avait des hommes couchés comme des draps et des fleurs durcies. Il y’avait aussi des choses sans consistances, des odeurs qui rendaient vieux. La lune avait l’haleine rouillée de ce qui couve sous la cendre.

Il y’avait :

Un diament plus bleu que des yeux...c’est l’étoile que l’on boit, le vent qu’il faut briser pour respirer.

Une rose cueillie aux abords de la mort; son pétale réfléchit le sang.

Des caresses qui coupent…

Nous en étions alors à la saison de toutes les grandes saisons annelées dans une seule chaîne qui ne finissait plus de se forger. Et le temps coupait court sur le velours des ombres… sur le velours des ombres…

“Cela me fait penser aux ongles qui s’allongent, qui s’allongent, pour remplir la pierre”, disant une voix.


Une chambre rêvait d’or noir, le miroir des nuits et des nuits l’étirait sans cesse.

Les miroirs, eaux massives, épuisaient tous les bruits

Qu’un cri éclate, et l’air aura la consistance brouillée des grandes profondeurs !


*****


I
Première nuit

Enfin, j’ai retrouvé mon élément !
C’est l’heure où le crépuscule des marécages s’arrache à son
sommeil et dételle sa barque de la berge. Un lapin fabuleux jaillit
d’on ne sait où, fumant des tiges de roses. Nous lui demandons un
peu de son tabac. Quand au reste, nous le laissons aux petits oiseaux.

II
Deuxième nuit

Ai-je dormi depuis le déluge ? suis-je bien intact ? bien correct ?
J’ai désappris le langage du monde mais j’aime tant celui des fleurs.
Je pars, camarade, adieu à tous, les convulsions folles m’ont pris
ce matin et, sans desserrer les lèvres, la pluie m’a traîné par son licol !

III
Troisième nuit

Ah misère ! cette vie est si profonde qu’on ne distingue rien. Mais
non, je ne lâcherai pas, la voir est un trop beau film ! Que voulez-vous,
j’aime çà ! Qu’on dise après que je ne suis pas romantique.
******


Il serait très long encore de parler de Duprey,
Et sûrement publierai-je la version longue de la chronique dans la partie que j’ai prévue à cet effet.
Que vous dire d’autres encore si ce n’est d’acheter son oeuvre,
Sauvegardée et publiée intégralement dans 1 volume en 1998 dans la très belle collection Poésie / Gallimard.

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Poesie-Gallimard/Derriere-son-double



Mon pays. (Vieille mélodie désuète à quat’sous)



Allez bref, oublions tout ça...
La radio s’est éteinte,
Demain le coq chantera faux,
Et le soleil sera si chaud.

Ma tirelires se sera brisée à une paroi de ma chambre,
Et moi je ne serai pas le roi,
Non pas le roi
Pas le roi de mon pays,
A peine un vieil apôtre bouffon,
Qui crache ses poumons,
Qui prend des bains glacés,
En espérant guérir ses maux,
- Mais voyons ! Pourquoi ne prenez-vous donc pas de bain chaud ?
Dans mon pays il n’y a que de l’eau froide, que de l’eau froide.

Je prendrai ensuite ma vieille Peugeot,
Qui marche à la benzine,
A la benzine,
Mais une benzine d’autrefois,
Qui fait rire tous les passants,
Et surtout les garagistes,
Mais dans mon pays, dans mon pays, il n’y a que cette benzine-là, cette benzine-là.
Alors quoi donc ? Quoi donc ?
Pourquoi te marres-tu tant à en avaler ton quatre-heures
Tout rond tout rond dans ta gorge de cochon ?
Allons…allons qui est le plus ridicule de nous deux maintenant ?
Hélas c’est toujours moi, c’est toujours moi...

je ne sais pas si c'est une nouveauté ou pas...
mais dans la partie billetterie, l'image à côté de chaque concert n'est plus la même qu'avant. On voit maintenant l'image qui devait représenter l'album à dieu, alors qu'avant (si je ne dis pas de grosses bêtises) c'était le visuel de l'album humanité qui était représenté à côté de chaque ville.

quelqu'un avait remarqué cela ?! (ça fait au moins deux mois que je n'avais pas regardé cette partie là de ccc, donc peut-être que c'est comme ça depuis plusieurs jours déjà...)


Ah yep j'avais pas remarqué.
Je trouve que c'est mieux car avant on pouvait penser que la tournée était basée autour de l'album #humanité.


Un magnifique poème-hommage à Antonin Artaud écrit et interprété par Henri Pichette
On y retrouve la "boulacrie" cette façon de faire sortir la voix des entrailles, des profondeur de l'être
dont parlait Artaud
Et à travers cette nouvelle vision du souffle
Il pensait que l'on pouvait changer la structure du corps de l'être humain
Petit à petit, dans les siècles à venir
C'est aussi ce qu'on peut appeler communément parler avec les tripes / cracher ses tripes :

https://youtu.be/4HYo5SmxkiU?t=10

Dans ce sujet je ferai une chronique régulière sur différents recueil de Poésie, afin d'essayer de donner envie de les lire.

encore du cosmos!
Cet homme ne prend pas de drogues mais nous ouvre les portes de la perception!
Ingénieur physicien qui travaille pour le CNRS, mais qui n'a pas une conception matérialiste de la conscience mais une conception spirituelle et quantique!
Après les vers, l'univers!

attention ça décoiffe

La conscience, l'espace, le temps, les synchronicités!

"on est tous poussières d'étoiles"


https://www.youtube.com/watch?v=g4zJXJWLF8o


https://www.youtube.com/watch?v=oH_6Dux-K7A


https://www.youtube.com/watch?v=qkCk9pCRoZM


https://www.youtube.com/watch?v=nyr7UiY5Fjs

changer le monde ou changer soi-même? la réponse en-dessous:


https://www.youtube.com/watch?v=4PhwpdZVES4


Merci beaucoup pour ce partage, c'est exactement ce genre de vidéos / document que je recherche pour ma trajectoire poético-métaphysico-mystique.

Exemple de représentation d'un théâtre balinais, théâtre dont a beaucoup parlé Artaud dans son ouvrage "Le théâtre et son double".


https://www.youtube.com/watch?v=HWUoZ6OvfCQ

En voyant cette séquence on peut penser à ce passage de son livre :

"Un autre exemple serait l’apparition d’un Être inventé, fait de bois et d’étoffe, créé de toutes pièces, ne répondant à rien, et cependant inquiétant par nature, capable de réintroduire sur la scène un petit souffle de cette grande peur métaphysique qui est à la base de tout le théâtre ancien."


https://www.youtube.com/watch?v=dMAtWEK2wIU


Peut-être que si il avait eu un premier rôle il n'aurait pas écrit les textes qu'il a écrit, trop monopolisé par sa célébrité, il n'aurait pas eu le même vécu - tout est lié. Ce n'est donc pas forcément regrettable.


Oui c'est vrai aussi, finalement s'il n'avait, pas eu le même vécu son oeuvre aurait été différente.
Je pense qu'il n'aurait jamais accepté d'être une célébrité de cinéma, mais ça aurait quand même influencé sa carrière indirectement, car il n'aurait plu eu le temps de se consacrer à l'écriture.


A la rigueur y'a Napoléon de 1927 où il joue un rôle un peu plus important en incarnant le personnage de Marat.
Mais là encore son apparition est très brève, c'est plus le symbolique du personnage qu'autre chose.

Apparition à partir de 35 minute 40 sur le bateau :


Scène de son assasinat vers la 48ème minute :



Vidéo :


https://www.dailymotion.com/video/x3sbmpb



Je regrettes une chose, c'est qu'ils ne lui ont jamais donné un rôle principal, il a toujours eu des rôles secondaires et même très secondaires alors que c'est clairement un bon acteur.


Tiens pour en revenir à Artaud, je n'avais jamais fait attention qu'il jouait dans l'Opéra de quat'sous de Pabst : https://youtu.be/GA5T9s0YmSI?t=2465


Je ne connaissais pas du tout ce film et ce passage d'Artaud, c'est la première fois que je vois un film dans lequel il joue qui n'est pas du cinéma muet. Est-ce les voix originales ?

Même si on reconnaît quand même bien sa voix, quoique différente de celles de ces enregistrement radio (pour en finir avec le jugement de Dieu, les médecins et les malades, etc), mais il faut dire qu'il y'a eu beaucoup d'années entre deux, et le tout séparé par les années de supplice des Quatre-Mares, de Rodez etc,
Tentatives d'empoisonnement, électrochocs à gogo, manque de nourriture, maladie, pertes total de ses dents,
Au final c'était un Artaud extrêmement fragilisé qu'on retrouve en 1946.
S'il en est un qui a vraiment souffert, à un degré extrême, c'est lui.



Mais de rien

Une de ses phrases que j'aime particulièrement : "La vérité est qu'il y a dans le Monde de formidables mystères, que le Monde n'est pas ce que l'on croit, ni surtout tel que le voient ceux qui disent qu'ils ne croient qu'à ce qu'ils voient."


Exactement.

« Est-ce que nous voyons la cent

millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le

vent, qui est la plus grande force de la nature, qui

renverse les hommes, abat les édifices, déracine les

arbres, soulève la mer en montagnes d’eau, détruit

les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le

vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, –

l’avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe pourtant"

pourtant. » - Maupassant, le Horla.

J' essaye de me remplir, d'éclats de mélodies,de rires,de mots, d'abstractions toujours plus poétiques,de parfums où s'évapore l'amour que le temps fait passer...
Mais la passion ne se comte pas,elle t'absorbe ,elle te prend,te secoue et te laisse étourdi par le miel d'un baiser.
Elle te déchire aussi mais tu vis.
Je suis vide de solitude ,de sens,un amas de bon sentiment qui pourri .
Je suis un trou ,une absurdité humaine autant que ces chiffres qui nous gouvernent....


Magnifique, pleins de sentiments, de sincérité, de douleur.
C'est vraiment poignant, ça saisit à l'intérieur, et les mots sont d'une très belle musicalité.




"Ces narines d’os et de peau
par où commencent les ténèbres
de l’absolu, et la peinture de ces lèvres
que tu fermes comme un rideau

Et cet or que te glisse en rêve
la vie qui te dépouille d’os,
et les fleurs de ce regard faux
par où tu rejoins la lumière

Momie, et ces mains de fuseaux
pour te retourner les entrailles,
ces mains où l’ombre épouvantable
prend la figure d’un oiseau

Tout cela dont s’orne la mort
comme d’un rite aléatoire,
ce papotage d’ombres, et l’or
où nagent tes entrailles noires

C’est par là que je te rejoins,
par la route calcinée des veines,
et ton or est comme ma peine
le pire et le plus sûr témoin."

Invocation à la Momie (1926)

Dans ce long entretien, ils ont même passé "Les Fils d'Artaud" de Saez, c'est juste dommage qu'il n'y ait pas eu de commentaire sur la chanson et sur le texte ça aurait été intéressant, surtout venant d'une spécialiste d'Artaud.

https://youtu.be/ha78YKOVzas?t=7071

Dans cette conférence de 1947 écrite par Artaud, on apprend aussi pas mal de choses sur lui, son histoire, son internement et sa vision du monde et de la société.


https://www.youtube.com/watch?v=OO-pI6LxSqM

Message déplacé depuis la discussion : Votre compil en 15 titres.

Tenebrae







Dans l’eau de javel des rêves morts-nés,
Des truites empoisonnées nageaient comme des soupirs,
Tenu à la portée, le la mineur esquivait sa plainte sur un papier de cendre,
Sous la touffeur joufflue d’une nuit d’Eternité.

Les écorces noires des arbres des ténèbres,
Comme des épidermes calcinées et meurtries,
Présentaient leurs oraisons damnées,
Au lucioles du vent que déchiraient les rideaux opaques.

Le poète ressuscité errait dans un linceul poisseux,
Comme un clochard céleste en quête de sa Lumière,
Les cloches criardes déchiraient la Nuit des Temps,
Sur le solfège incompréhensible du mystère glacé.

Il n’est plus temps de voir la pluie rejoindre l’étang,
Les temps ont rendu leur calice de larmes gelées,
Je tousse trois fois du sang bénit,
Vert comme les larves, grand comme les mers,
Et ma barque désarçonné par le glas,
N’est plus qu’un piloti à la dérive.




Luminare




Comme un séraphin de plume et d’éther,
Je rejoins les sphères d’une autre réalité,
Mes amas d’élan se cristallisent dans les bouquets de la lumière,
Et sur l’arche des nuages je tisse des lanternes de Sourire.

Les nébuleuses diurnes me coiffent de nimbes célestes,
Mes habits sont aussi blancs que la neige de Décembre,
Je peux fermer les yeux et sentir l'Infini,
J’ai rendu corps pour accoucher de mon âme indéfinie

Qu’ils m’assassinent avec leur enclumes factices,
Je ne suis plus de ce monde de chair et de vide,
Le néant m’abandonne pour me hausser au langage véritable,
Où les oiseaux sont les princes et les poètes leurs apôtres.



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Après j'ai pas dit que tout était mauvais chez Onfray, ce n'est pas un mauvais philosophe et il a dit des propos plutôt intéressants et pertinents sur la musique (plus particulièrement de l'époque Romantique), sur le Cosmos, sur la Vie, sur l’émerveillement et même que je ne partage pas son côté hédoniste, je lui admet savoir bien écrire, connaître beaucoup de choses sur la philosophie grecque et romaine, et vouloir casser l'élitisme en ouvrant une université à tous, et ça bien sûr c'est une très noble action.

Et puis chaque philosophe a sa vision du monde, c'est ça qui est enrichissant.

Pour ma part je pense qu'il faudrait rendre honneur à un autre philosophe qui tombe un peu trop dans l'oubli, ce qui est dommage, lui à qui Saez rend un si bel hommage, je parle bien sûr de Antonin Artaud le mômo, l'écorché vif, l'incompris, qu'on prenait pour un fou mais qui pourtant était un Humain avec un grand "H".



https://youtu.be/uKvfUJniFOs?t=1893

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https://www.youtube.com/watch?v=xeGWEfmkgow