Il était une nuit. Une nuit qui se lève à l'heure de certains travailleurs d'avant les autres. Il était la nuit, de ces heures qui ne sont que sommeil depuis mes heures de toujours. L'air frais en guise de réveil, le vrombissement de mon propre déplacement, la carrosserie chantante de la voiture. Une immense route, seule au milieu. Lyon si souvent fourmillante, crasseuse des pots d'échappement collés les uns aux autres en bouchon, était solitaire et calme sur ses rives de Saône et Rhône. Il y a cet instant, une nuit dans la nuit. La mienne propre où des voix sortant des baffes dans les portes inventent une postérité à l'instant. L'air frais, la chanson, la route. Une tranche de vie. Qu'est ce quil y a de si fascinant dans le fait de rouler ? Est ce que c'est le miniature de la fuite ? Une part de liberté parce qu'on est maître, parce qu'on dirige ? Parce qu'on a choisi la place, celle du conducteur, et qu'on se fait tout le scénario de la vie de film. Ces scènes là de conduite, sur un fond de levé du jour, l'air du vent et un individu dont on ne sait rien mais définitivement libre de conduire d'avoir sa vie en main. Dans tous les sens du terme.
On se fabrique des scènes de cinéma grâce à la musique. Elle joue son rôle. Elle souligne. Sublime. Exalte le truc. Elle rend la conduite enivrante, émancipatrice et pleine des possibilités qui s'offrent. Le film est donc bien là. La nuit dans son dernier soupir glisse vers l'autre partie du globe. La route est vide, il y a même la brume. Le soleil arrivera dans quelques minutes. 5 sans doute. 2 minutes plus tard la golden hour incruste l'horizon comme si on avait doré le paysage à la feuille d'or. C'est l'instant, l'aurore entre deux eaux, des mondes comme une bascule sur laquelle un géant a appuyé. On est passé de l'autre côté. Voir un levé de soleil en roulant, comme si on y allait droit dedans. Droit dans la lumière jaune tout devant là bas quelques part de pas tout à fait défini. Voir ça dans cet instant entre soi et soi. Entre soi et son extension de carrosserie. D'autres voitures autour, compagnes lointaines de ces heures où on devrait dormir encore. Compagnes fantômes au gré des vitesses, on double, se fait doublé et l'azur devient rouge, puis vert, puis c'est un camion. Mais on ne voit vraiment que cette scène de nature, de cycle. Le levé du dieu soleil, dans cette scène de film : elle allait dans les lignes goudronnées, parcourir la Bourgogne du sud au nord, arriver à l'heure pour commencer une deuxième vie de cette même journée, celle normal du musée. Mais à cet instant elle est encore dans l'espace temps, voyageuse des nuits ocres enrobées d'une voix qui dessine la BO. La vie est un film. On y met des chansons comme pour habiter les silences élémentaires, trop habitués que nous sommes au bruit permanent de notre propre animation des lieux. Mais on ouvre des bulles, on se fabrique des parenthèses qu'on ne choisit presque pas sauf lorsqu'elle nous attrappe. On se fabrique le souvenir de l'air qui s'engouffre par l'entre ouverture de la fenêtre côté conducteur, pendant qu'on appuie sur le "+" du son, que sur la droite derrière quelques traits de brume les prés à perte de vue reprennent les couleurs que veut la lumière. Verdure. Sur la toile bleu immense, sans limites et omniprésente il monte toujours plus. Aspire les micro astres de 5h du matin. Et vient de créer un instant à effet sur cette être minute perdu quelque part ici ou là sur la carte. Il y a un an. C'était une chanson anglaise, une de ces chansons nous trop sombre non trop généreuse. Plutôt une chanson qui prend l'esprit, l'espace, qui donne l'air de savoir raconter l'inexpliquable et satisfaire le sens, l'essence. Faire la route, prendre la route alors qu'on ne fait que passer, à vive allure, pressé, compressé de lier deux points sur une carte, dans une vie. Quitter une donnée pour en revoir une autre. La route est une transition, un sas qui remet l'ordre au pas quand on se croit libéré de sa charge. La route prépare, caresse avec son levé de soleil, sa voix anglaise, cet air de conquête sur rien du tout mais ça crée un espoir. Non ? La scène du film est un travelling de 4h, peu de mots que pour chanter ou insulter des véhicules anonymes, l'action n'est pas faite elle est occupée, on occupe le décor et on sublime ce rendez-vous entre un temps de beauté et sa proie. Travelling. Action. C'est beau un soleil qui s'éveille quand on ne se fait que temoin. Sans doute l'unique dialogue. In love memory of 206 bleu iceberg.